L'index cheville-bras (ABI en anglais) est le rapport entre les pressions artérielles systoliques mesurées à la cheville et au bras. Cet index est couramment utilisé comme marqueur d'artériopathie périphérique ; une valeur comprise entre 1,0 et 1,4 est considérée comme normale, un rapport égal ou inférieur à 0,9 reflète souvent une pathologie artérielle sous jacente. Cinq pour cent de la population américaine de plus de 40 ans, sans maladie cardiovasculaire (MCV) patente, a un ABI de 0,9 ou moins. Un dépistage précoce des artériopathies par la mesure généralisée de cet index pourrait conduire à une baisse de la morbi-mortalité CV, via un diagnostic et une prise en charge thérapeutique plus précoces. Toutefois, en 2005, le groupe de travail des services de prévention US (USPSTF) s’est prononcé contre le dépistage systématique en soins primaires des maladies artérielles périphériques (recommandation de force D) et , en 2009, n' a pu préciser l'apport de l' ABI dans le dépistage des coronaropathies chez des adultes asymptomatiques (niveau I). A ce jour, aucun essai randomisé n'a, directement, évalué le rapport bénéfices/risques d'un dépistage généralisé des artériopathies.
Une revue systématique a donc été conduite par JS Lin et collaborateurs. Elle a eu pour but de clarifier l'apport de l'ABI comme facteur prédictif de morbimortalité CV chez des adultes asymptomatiques, indépendamment du score de risque de Framingham (FRS le plus communément utilisé. Elle a aussi tenté de déterminer les avantages mais aussi les dangers potentiels d'un traitement précocement mis en œuvre après dépistage .Cette revue a concerné les articles de langue anglaise publiés entre 1996 et Septembre 2012, référencés dans MEDLINE et le Registre Cochrane Central des Essais Cliniques ainsi que dans celui des essais en cours. Deux examinateurs indépendants ont revu les abstracts et articles complets traitant de l'apport de la mesure de l'ABI chez des sujets indemnes d'artériopathies, de coronaropathies, de maladies cérébro-vasculaires, de diabète ou d'insuffisance rénale chronique. Ils ont inclus toutes les études prospectives de population dont l'analyse des facteurs de risque comportait, au minimum, les critères retenus dans le panel III du Programme National d'Evaluation du Cholestérol (NCEP-ATP III). Le suivi des essais devait être supérieur à 3 mois et les participants asymptomatiques. Les auteurs se sont attachés à préciser si la mesure de l'ABI était à même d'améliorer la stratification du risque, donc d'entraîner une reclassification des sujets, reclassification pouvant être quantifiée par le calcul d'un indice d’amélioration (NRI), significatif au-delà de 0,05. Ils ont également tenté de déterminer si cette mesure conduisait à une meilleure discrimination des événements pathologiques CV.
Au terme de leur recherche, les auteurs ont sélectionné une méta-analyse, 14 études de cohortes et 2 essais traitant plus spécifiquement du rapport bénéfices/risques d'un traitement précoce en cas d'artériopathies asymptomatiques. Nombre de publications ont été exclues car ne prenant pas en compte les critères ATP III-FRS. Il en a été de même pour la plupart des études thérapeutiques car menées chez des patients avec claudication intermittente de jambe.
Reclassification du risque
La méta-analyse, conduite par l'ABI Collaboration a inclus 48 294 sujets, originaires des Etats Unis, d'Europe de l'Ouest et d'Australie ; elle comprenait 16 études prospectives de cohortes. L'âge moyen des participants allait de 47 à 78 ans ; la durée moyenne du suivi de 3,0 à 16,7 ans. Elle a révélé qu'un ABI bas, égal ou inférieur à 0,9 était lié à la survenue ultérieure d'une coronaropathie ou d'un autre événement CV grave, cette liaison étant indépendante du FRS. Dans cette méta- analyse, le reclassement du risque de coronaropathie dans les 10 ans en fonction de la valeur de l'ABI a été considérable. Chez les hommes avec un ABI normal (n = 3 668), la modification principale a consisté à passer d'un groupe à haut risque vers un groupe intermédiaire. Chez les femmes dont l'ABI était compris entre 0,9 et 1,10 (n = 6 192), il y avait passage d'un groupe à bas risque vers celui à risque intermédiaire. Enfin, chez celles dont l'ABI était égal ou inférieur à 0,9 et qui, selon le score FRS, étaient à faible risque (n = 1 083), le passage se faisait vers le groupe à haut risque de coronaropathie.
Quatre études se sont attachées au calcul du NRI, donc à l’amplitude de la reclassification amenée par la prise en compte de l'ABI. Parmi elles, la Rotterdam Study a concerné 5 933 sujets, d'âge moyen 69,1 ans et suivis pendant 6,8 ans en moyenne. L'apport de l' ABI en sus du FRS n’a pas changé notablement l'ensemble de la classification (le NRI se situant à 0,006 pour un intervalle de confiance, IC, à 95% compris entre - 0,08 et 0,029). L'étude Health ABC a porté, elle, sur 2 191 hommes et femmes, globalement plus âgés (73,5 ans en moyenne) et avec davantage d'insuffisances coronaires. Le NRI se situait à 0,079 pour les accidents coronariens sévères et à 0,033 pour l' ensemble des coronaropathies. Deux autres publications, celle de l'ARIC Study et celle de la MESA Cohorte, ont fourni des résultats similaires.
Pas de bénéfice d’un traitement préventif précoce
L'intérêt de la mise en route d'un traitement précoce chez des patients dépistés par la mesure de l'ABI mais asymptomatiques a été détaillé dans 2 essais. L'un, l'Aspirin for Asymptomatic Atherosclerosis Trial, compare le bénéfice eventuel de l'aspirine à faible dose (100 mg/ jour) vs placebo chez des participants d'âge moyen 61 ans, pour 71 % de sexe féminin, dont un tiers avait un tabagisme actif et dont l'ABI était de 0,95 ou moins. Après un suivi moyen de 8,2 ans, le nombre d’événements CV majeurs ne diffère pas significativement entre les 2 groupes (Hazard Ratio, HR, à 1,03 pour un IC de 0,84 à 1,27). Par contre, le risque de saignement majeur augmente nettement sous aspirine (HR à 1,71; CI de 0,99 à 2,97).
Cette nouvelle revue systématique fait donc suite aux recommandations émises par l'USPSTF en 2005 et à sa mise à jour de 2009. Malgré l'ajout de publications récentes, elle n'apporte pas d'éléments complémentaires probants en faveur de la mesure systématique de l'ABI et conclut à un bénéfice très limité des traitements préventifs en cas d'artériopathie asymptomatique. Il faut toutefois remarquer que ce travail n'a concerné que les publications de langue anglaise et qu'il existe d'autres appréciations du risque CV que le FRS qui a servi de base pour juger de la valeur de l'ABI. Dans un avenir proche, l'ABI Collaboration envisage de réactualiser sa méta- analyse et le passage du panel ATP- III à celui ATP-IV conduira à une nouvelle appréciation du risque CV. L'apport de l'ABI sera alors à réévaluer en fonction de ces nouvelles données.
Pierre Margent
Lin JS et coll. : The Ankle- Brachial Index for Peripheral Artery Disease Screening and Cardiovascular Disease Prediction among Asymptomatic Adults: a systematic evidence review for USPSTF. Ann Intern Med., 2013; 159: 333-341.
JIM 2013
Une revue systématique a donc été conduite par JS Lin et collaborateurs. Elle a eu pour but de clarifier l'apport de l'ABI comme facteur prédictif de morbimortalité CV chez des adultes asymptomatiques, indépendamment du score de risque de Framingham (FRS le plus communément utilisé. Elle a aussi tenté de déterminer les avantages mais aussi les dangers potentiels d'un traitement précocement mis en œuvre après dépistage .Cette revue a concerné les articles de langue anglaise publiés entre 1996 et Septembre 2012, référencés dans MEDLINE et le Registre Cochrane Central des Essais Cliniques ainsi que dans celui des essais en cours. Deux examinateurs indépendants ont revu les abstracts et articles complets traitant de l'apport de la mesure de l'ABI chez des sujets indemnes d'artériopathies, de coronaropathies, de maladies cérébro-vasculaires, de diabète ou d'insuffisance rénale chronique. Ils ont inclus toutes les études prospectives de population dont l'analyse des facteurs de risque comportait, au minimum, les critères retenus dans le panel III du Programme National d'Evaluation du Cholestérol (NCEP-ATP III). Le suivi des essais devait être supérieur à 3 mois et les participants asymptomatiques. Les auteurs se sont attachés à préciser si la mesure de l'ABI était à même d'améliorer la stratification du risque, donc d'entraîner une reclassification des sujets, reclassification pouvant être quantifiée par le calcul d'un indice d’amélioration (NRI), significatif au-delà de 0,05. Ils ont également tenté de déterminer si cette mesure conduisait à une meilleure discrimination des événements pathologiques CV.
Au terme de leur recherche, les auteurs ont sélectionné une méta-analyse, 14 études de cohortes et 2 essais traitant plus spécifiquement du rapport bénéfices/risques d'un traitement précoce en cas d'artériopathies asymptomatiques. Nombre de publications ont été exclues car ne prenant pas en compte les critères ATP III-FRS. Il en a été de même pour la plupart des études thérapeutiques car menées chez des patients avec claudication intermittente de jambe.
Reclassification du risque
La méta-analyse, conduite par l'ABI Collaboration a inclus 48 294 sujets, originaires des Etats Unis, d'Europe de l'Ouest et d'Australie ; elle comprenait 16 études prospectives de cohortes. L'âge moyen des participants allait de 47 à 78 ans ; la durée moyenne du suivi de 3,0 à 16,7 ans. Elle a révélé qu'un ABI bas, égal ou inférieur à 0,9 était lié à la survenue ultérieure d'une coronaropathie ou d'un autre événement CV grave, cette liaison étant indépendante du FRS. Dans cette méta- analyse, le reclassement du risque de coronaropathie dans les 10 ans en fonction de la valeur de l'ABI a été considérable. Chez les hommes avec un ABI normal (n = 3 668), la modification principale a consisté à passer d'un groupe à haut risque vers un groupe intermédiaire. Chez les femmes dont l'ABI était compris entre 0,9 et 1,10 (n = 6 192), il y avait passage d'un groupe à bas risque vers celui à risque intermédiaire. Enfin, chez celles dont l'ABI était égal ou inférieur à 0,9 et qui, selon le score FRS, étaient à faible risque (n = 1 083), le passage se faisait vers le groupe à haut risque de coronaropathie.
Quatre études se sont attachées au calcul du NRI, donc à l’amplitude de la reclassification amenée par la prise en compte de l'ABI. Parmi elles, la Rotterdam Study a concerné 5 933 sujets, d'âge moyen 69,1 ans et suivis pendant 6,8 ans en moyenne. L'apport de l' ABI en sus du FRS n’a pas changé notablement l'ensemble de la classification (le NRI se situant à 0,006 pour un intervalle de confiance, IC, à 95% compris entre - 0,08 et 0,029). L'étude Health ABC a porté, elle, sur 2 191 hommes et femmes, globalement plus âgés (73,5 ans en moyenne) et avec davantage d'insuffisances coronaires. Le NRI se situait à 0,079 pour les accidents coronariens sévères et à 0,033 pour l' ensemble des coronaropathies. Deux autres publications, celle de l'ARIC Study et celle de la MESA Cohorte, ont fourni des résultats similaires.
Pas de bénéfice d’un traitement préventif précoce
L'intérêt de la mise en route d'un traitement précoce chez des patients dépistés par la mesure de l'ABI mais asymptomatiques a été détaillé dans 2 essais. L'un, l'Aspirin for Asymptomatic Atherosclerosis Trial, compare le bénéfice eventuel de l'aspirine à faible dose (100 mg/ jour) vs placebo chez des participants d'âge moyen 61 ans, pour 71 % de sexe féminin, dont un tiers avait un tabagisme actif et dont l'ABI était de 0,95 ou moins. Après un suivi moyen de 8,2 ans, le nombre d’événements CV majeurs ne diffère pas significativement entre les 2 groupes (Hazard Ratio, HR, à 1,03 pour un IC de 0,84 à 1,27). Par contre, le risque de saignement majeur augmente nettement sous aspirine (HR à 1,71; CI de 0,99 à 2,97).
Cette nouvelle revue systématique fait donc suite aux recommandations émises par l'USPSTF en 2005 et à sa mise à jour de 2009. Malgré l'ajout de publications récentes, elle n'apporte pas d'éléments complémentaires probants en faveur de la mesure systématique de l'ABI et conclut à un bénéfice très limité des traitements préventifs en cas d'artériopathie asymptomatique. Il faut toutefois remarquer que ce travail n'a concerné que les publications de langue anglaise et qu'il existe d'autres appréciations du risque CV que le FRS qui a servi de base pour juger de la valeur de l'ABI. Dans un avenir proche, l'ABI Collaboration envisage de réactualiser sa méta- analyse et le passage du panel ATP- III à celui ATP-IV conduira à une nouvelle appréciation du risque CV. L'apport de l'ABI sera alors à réévaluer en fonction de ces nouvelles données.
Pierre Margent
Lin JS et coll. : The Ankle- Brachial Index for Peripheral Artery Disease Screening and Cardiovascular Disease Prediction among Asymptomatic Adults: a systematic evidence review for USPSTF. Ann Intern Med., 2013; 159: 333-341.
JIM 2013
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