Faute de diagnostic - Les erreurs et retards de diagnostic
Emmanuelle BUISSON, Juriste en Droit de la Santé
Les faits
En 1989, un adolescent de 15 ans, présentant des antécédents de rhinopharyngites, compliquées de temps à autre d'otites et de sinusite aiguës pour lesquelles il est suivi régulièrement, présente un soir de violentes douleurs frontales droites avec une fièvre à 39°C. Ses parents contactent le médecin de garde qui, dans un premier temps, vérifie l'absence de signe méningé et diagnostique dans un deuxième temps une sinusite aiguë. Il prescrit ainsi un antibiotique per os et des corticoïdes.
L'état de l'adolescent s'améliore pendant 24 heures, mais il présente à nouveau de la fièvre et des douleurs (J+2) ; les parents contactent alors le SAMU, leur médecin traitant étant absent. Le SAMU n'envoie un médecin que le lendemain matin (J+3) ; le diagnostic de sinusite aiguë est alors confirmé après examen du patient à 7h30 ; l'antibiotique per os est remplacé par un autre antibiotique plus puissant. Le médecin du SAMU prescrivait, en 8ème position sur l'ordonnance, un stimulant de la motricité intestinale, "un suppositoire adulte, 1 à 3 suppositoires par jour en cas de besoin".
Vers 12h ce même jour, l'adolescent est examiné par son médecin traitant qui ne modifie pas le diagnostic ni le traitement. Cependant, dans l'après-midi, le patient présente des nausées avec vomissements, une diplopie et une raideur de la nuque. Les parents recontactent alors le médecin traitant qui les rassure, leur indiquant qu'il s'agit de "poussées bactériennes".
Les symptômes persistant, les parents contactent à nouveau le médecin traitant à 20h30 ; ce dernier les rassure à nouveau.
Le lendemain matin (J+4), le médecin traitant est une nouvelle fois contacté par le père du patient ; le praticien lui indique qu'il ne pourra pas venir examiner l'adolescent avant la fin de ses consultations. Il se rendra ainsi au chevet du patient à 17h, ne jugeant pas nécessaire de le faire hospitaliser, mais acceptant, sur la demande insistante du père, de lui faire pratiquer des examens sanguins. Devant l'état du patient, l'infirmière venue faire les prélèvements le fera hospitaliser.
Une méningite purulente était diagnostiquée à l'arrivée du patient à l'hôpital, avec "une image anormale de la scissure interhémisphérique sur les clichés scanographiques évoquant un empyème sous-dural". Le patient présentait rapidement des crises convulsives focalisées ; l'empyème était évacué neurochirurgicalement 15 jours après les premiers symptômes. Une comitialité stabilisée après traitement, une monoparésie du membre inférieur gauche, des difficultés psychologiques ainsi qu'une atteinte des fonctions cognitives demeuraient cependant.
La procédure
L'expert retient, en ce qui concerne le médecin de garde, que ce dernier a prescrit un "traitement non seulement insuffisant mais également néfaste" : antibiotique peu efficace, association d'un corticoïde qui, lorsqu'il est employé seul, peut "favoriser les infections et, dans le cas présent, une méningite purulente".
Quant au médecin du SAMU, l'expert note qu'il a bien modifié la mauvaise prescription en prescrivant un antibiotique plus puissant, bactéricide et à dose correcte. Cependant, il lui reproche soit de ne pas avoir détecté la méningite déjà constituée ("si les vomissements existaient déjà lors de la visite, ce qu'il est impossible de prouver"), soit de ne pas avoir prévenu les parents de l'adolescent de la possibilité de survenue d'une complication méningée, ce qui aurait peut-être permis d'éviter l'intervention. L'expert note que dans ces deux éventualités, des avertissements aux parents auraient été nécessaires et utiles.
Enfin, l'expert retient que le médecin traitant est à l'origine du retard du traitement dans la mesure où il n'a pas su "diagnostiquer l'évolution péjorative de la sinusite aiguë".
Le Tribunal de Grande Instance a condamné le médecin de garde et le médecin traitant à indemniser l'adolescent à hauteur de 203 771 €, dont 33 580 € pour les organismes sociaux. Les magistrats ont en effet retenu que les deux praticiens avaient commis des fautes à l'origine d'une perte de chance de 90 % pour le patient d'éviter le préjudice ; pour le Tribunal, le médecin traitant est responsable à hauteur de 60 % et le médecin de garde à hauteur de 30 %. La responsabilité du médecin du SAMU n'a pas été retenue, les magistrats estimant que la faute dans son obligation de conseil "n'avait pas eu d'effet, les parents ayant demandé eux-mêmes une nouvelle intervention médicale sans attendre les effets du traitement prescrit par ce praticien".
Ce que dit la loi
D'une part, dans le cadre de l'établissement du diagnostic, "le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés" (article R. 4127-33 du Code de la santé publique). Ensuite, si le médecin dispose d'un libre choix quant au traitement qu'il prescrit à son patient (article R. 4127-8 du Code de la santé publique), il ne doit cependant pas lui faire courir de risque injustifié (article R. 4127-40 du Code précité), en utilisant notamment un traitement insuffisant ou, bien plus, néfaste. L'article L. 1110-5 du Code précité précise : "Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté". Enfin, le médecin est tenu d'informer son patient des risques qui pourraient survenir au cours du traitement, mais également le conseiller sur la conduite à tenir le cas échéant. Si ce devoir de conseil, très lié au devoir d'information du médecin, n'a pas de base légale, les Tribunaux en ont cependant dégagé une véritable notion dont ils sanctionnent le défaut.
Les conseils
À la lumière de cette affaire, il convient de retenir trois types de conseils.
D'une part, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour parvenir à un diagnostic : recours à un avis compétent, prescription des examens complémentaires... En l'espèce, le non diagnostic de l'évolution péjorative de la sinusite aiguë de l'adolescent par le médecin traitant a entraîné un retard de traitement.
D'autre part, lorsqu'il prescrit un traitement, le médecin doit évaluer les bénéfices et risques pour le patient et suivre ainsi la règle du "risque proportionné", en faisant bénéficier le patient du traitement le plus efficace et le moins risqué. La justification de son choix pourra être consignée dans le dossier médical afin, en cas de litige ultérieur éventuel, de prouver que l'intérêt du patient a primé dans sa décision.
Enfin, le praticien doit informer le patient des symptômes qui pourraient survenir et de la conduite à adopter le cas échéant : le contacter, contacter un confrère spécialiste ou le SAMU selon le degré d'urgence, se rendre à l'hôpital...
En conclusion, notons que cette affaire illustre parfaitement le partage de responsabilité qui peut s'opérer entre confrères amenés à prendre en charge un même patient.
06.14 UVD 09 F 1675 IN
Emmanuelle BUISSON, Juriste en Droit de la Santé
Les faits
En 1989, un adolescent de 15 ans, présentant des antécédents de rhinopharyngites, compliquées de temps à autre d'otites et de sinusite aiguës pour lesquelles il est suivi régulièrement, présente un soir de violentes douleurs frontales droites avec une fièvre à 39°C. Ses parents contactent le médecin de garde qui, dans un premier temps, vérifie l'absence de signe méningé et diagnostique dans un deuxième temps une sinusite aiguë. Il prescrit ainsi un antibiotique per os et des corticoïdes.
L'état de l'adolescent s'améliore pendant 24 heures, mais il présente à nouveau de la fièvre et des douleurs (J+2) ; les parents contactent alors le SAMU, leur médecin traitant étant absent. Le SAMU n'envoie un médecin que le lendemain matin (J+3) ; le diagnostic de sinusite aiguë est alors confirmé après examen du patient à 7h30 ; l'antibiotique per os est remplacé par un autre antibiotique plus puissant. Le médecin du SAMU prescrivait, en 8ème position sur l'ordonnance, un stimulant de la motricité intestinale, "un suppositoire adulte, 1 à 3 suppositoires par jour en cas de besoin".
Vers 12h ce même jour, l'adolescent est examiné par son médecin traitant qui ne modifie pas le diagnostic ni le traitement. Cependant, dans l'après-midi, le patient présente des nausées avec vomissements, une diplopie et une raideur de la nuque. Les parents recontactent alors le médecin traitant qui les rassure, leur indiquant qu'il s'agit de "poussées bactériennes".
Les symptômes persistant, les parents contactent à nouveau le médecin traitant à 20h30 ; ce dernier les rassure à nouveau.
Le lendemain matin (J+4), le médecin traitant est une nouvelle fois contacté par le père du patient ; le praticien lui indique qu'il ne pourra pas venir examiner l'adolescent avant la fin de ses consultations. Il se rendra ainsi au chevet du patient à 17h, ne jugeant pas nécessaire de le faire hospitaliser, mais acceptant, sur la demande insistante du père, de lui faire pratiquer des examens sanguins. Devant l'état du patient, l'infirmière venue faire les prélèvements le fera hospitaliser.
Une méningite purulente était diagnostiquée à l'arrivée du patient à l'hôpital, avec "une image anormale de la scissure interhémisphérique sur les clichés scanographiques évoquant un empyème sous-dural". Le patient présentait rapidement des crises convulsives focalisées ; l'empyème était évacué neurochirurgicalement 15 jours après les premiers symptômes. Une comitialité stabilisée après traitement, une monoparésie du membre inférieur gauche, des difficultés psychologiques ainsi qu'une atteinte des fonctions cognitives demeuraient cependant.
La procédure
L'expert retient, en ce qui concerne le médecin de garde, que ce dernier a prescrit un "traitement non seulement insuffisant mais également néfaste" : antibiotique peu efficace, association d'un corticoïde qui, lorsqu'il est employé seul, peut "favoriser les infections et, dans le cas présent, une méningite purulente".
Quant au médecin du SAMU, l'expert note qu'il a bien modifié la mauvaise prescription en prescrivant un antibiotique plus puissant, bactéricide et à dose correcte. Cependant, il lui reproche soit de ne pas avoir détecté la méningite déjà constituée ("si les vomissements existaient déjà lors de la visite, ce qu'il est impossible de prouver"), soit de ne pas avoir prévenu les parents de l'adolescent de la possibilité de survenue d'une complication méningée, ce qui aurait peut-être permis d'éviter l'intervention. L'expert note que dans ces deux éventualités, des avertissements aux parents auraient été nécessaires et utiles.
Enfin, l'expert retient que le médecin traitant est à l'origine du retard du traitement dans la mesure où il n'a pas su "diagnostiquer l'évolution péjorative de la sinusite aiguë".
Le Tribunal de Grande Instance a condamné le médecin de garde et le médecin traitant à indemniser l'adolescent à hauteur de 203 771 €, dont 33 580 € pour les organismes sociaux. Les magistrats ont en effet retenu que les deux praticiens avaient commis des fautes à l'origine d'une perte de chance de 90 % pour le patient d'éviter le préjudice ; pour le Tribunal, le médecin traitant est responsable à hauteur de 60 % et le médecin de garde à hauteur de 30 %. La responsabilité du médecin du SAMU n'a pas été retenue, les magistrats estimant que la faute dans son obligation de conseil "n'avait pas eu d'effet, les parents ayant demandé eux-mêmes une nouvelle intervention médicale sans attendre les effets du traitement prescrit par ce praticien".
Ce que dit la loi
D'une part, dans le cadre de l'établissement du diagnostic, "le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés" (article R. 4127-33 du Code de la santé publique). Ensuite, si le médecin dispose d'un libre choix quant au traitement qu'il prescrit à son patient (article R. 4127-8 du Code de la santé publique), il ne doit cependant pas lui faire courir de risque injustifié (article R. 4127-40 du Code précité), en utilisant notamment un traitement insuffisant ou, bien plus, néfaste. L'article L. 1110-5 du Code précité précise : "Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté". Enfin, le médecin est tenu d'informer son patient des risques qui pourraient survenir au cours du traitement, mais également le conseiller sur la conduite à tenir le cas échéant. Si ce devoir de conseil, très lié au devoir d'information du médecin, n'a pas de base légale, les Tribunaux en ont cependant dégagé une véritable notion dont ils sanctionnent le défaut.
Les conseils
À la lumière de cette affaire, il convient de retenir trois types de conseils.
D'une part, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour parvenir à un diagnostic : recours à un avis compétent, prescription des examens complémentaires... En l'espèce, le non diagnostic de l'évolution péjorative de la sinusite aiguë de l'adolescent par le médecin traitant a entraîné un retard de traitement.
D'autre part, lorsqu'il prescrit un traitement, le médecin doit évaluer les bénéfices et risques pour le patient et suivre ainsi la règle du "risque proportionné", en faisant bénéficier le patient du traitement le plus efficace et le moins risqué. La justification de son choix pourra être consignée dans le dossier médical afin, en cas de litige ultérieur éventuel, de prouver que l'intérêt du patient a primé dans sa décision.
Enfin, le praticien doit informer le patient des symptômes qui pourraient survenir et de la conduite à adopter le cas échéant : le contacter, contacter un confrère spécialiste ou le SAMU selon le degré d'urgence, se rendre à l'hôpital...
En conclusion, notons que cette affaire illustre parfaitement le partage de responsabilité qui peut s'opérer entre confrères amenés à prendre en charge un même patient.
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