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a Service de pédopsychiatrie, hôpital Necker–Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
Available online 21 February 2010.
1. Une approche clinique psychanalytique du geste suicidaire à l’adolescence
Actuellement, la clinique adolescente regorge de faits non pas nouveaux mais en constante augmentation, les gestes suicidaires, qui interrogent le commerce de l’adolescent avec ses objets et la manière dont ils ont été intériorisés.
Parmi les conceptions psychanalytiques du geste suicidaire à l’adolescence, apparaissent deux grandes tendances, même si elles ne se contredisent pas complètement l’une l’autre : la première considère le suicide comme résultant de la crise de l’adolescence, la deuxième considère le suicide comme résultant d’un trouble psychopathologique grave en lien avec la psychose . Depuis les travaux de P. Jeammet et son équipe , et c’est encore plus vrai pour les travaux de Pommereau, s’instaure une position médiane, qui semble prévaloir actuellement.
Les psychanalystes d’adolescents s’accordent pour affirmer que les transformations psychiques et corporelles liées à l’adolescence potentialisent le recours au geste suicidaire et mettent l’accent sur l’extrême sensibilité de ces adolescents à la problématique de la perte à laquelle ils sont confrontés, ainsi que sur leur hyperdépendance aux objets parentaux. Cet éprouvé traumatique de perte a des répercussions sur les identifications : Haim parle des remaniements identitaires propres à l’adolescence, particulièrement problématiques, chez ceux qui recourent au geste suicidaire ; Ladame met l’accent sur l’échec chez les suicidants de la deuxième phase de séparation–individuation caractéristique de l’adolescence et sous-tendue par la mise en œuvre prépondérante de l’identification projective et de l’identification à l’agresseur ; Jeammet et Birot ont souligné un facteur différenciant particulièrement la population d’adolescents suicidants : la difficulté d’élaboration de l’homosexualité psychique, celle-ci recouvrant le lien à l’objet primaire, l’identification et la position anale passive par rapport à l’objet phallique ; Pommereau et Charazac-Brunel insistent enfin sur le rôle prépondérant de certaines identifications morbides dans la genèse du passage à l’acte suicidaire.
Dans une perspective dynamique, ces auteurs mettent l’accent sur une vulnérabilité interne propre aux adolescents suicidaires et aussi sur la défaillance de l’environnement familial, scolaire ou social. Ils tiennent compte de ces deux dimensions, interne et externe, mais la dimension externe semble prendre davantage d’importance aux yeux des auteurs plus récents : Haim , les Laufer Jeammet et Birot insistent surtout sur les carences internes ; Ladame introduit la dimension intersubjective familiale : il met l’accent sur la fragilité interne mais il s’attache également à décrire les défaillances de la structure familiale pouvant avoir des répercussions sur celle-là. Pommereau , Marcelli et Berthau , et Charazac-Brunel évoquent davantage les problèmes d’interaction avec l’environnement, surtout familial. Dans cette prise en compte croissante de l’entourage de l’adolescent, apparaissent plus saillantes les motions cannibaliques, parricides et incestueuses dont le geste suicidaire exprime le défaut d’élaboration psychique. Pommereau a tout particulièrement mis en exergue cette violence transgressive inhérente au geste suicidaire adolescent, geste adressé à l’autre.
Le lien entre externe et interne, c’est-à-dire la manière dont le sujet s’approprie ses expériences, ses éprouvés et y donne sens, est essentiel. Une exploration de la psyché du sujet suicidaire à l’aide d’outils rigoureux s’avère dès lors indispensable pour saisir les processus d’intériorisation et ses éventuelles défaillances. Elle est inhérente à une prise en charge soucieuse de consolider les liens intrapsychiques et intersubjectifs.
Les nouvelles études épidémiologiques mettent en exergue toute une série d’indicateurs de risque de la crise suicidaire et l’approche psychiatrique actuelle vise essentiellement à circonscrire, et évaluer la « crise suicidaire » définie comme une « crise psychique dont le risque majeur est le suicide » selon des critères de gravité, de dangerosité et d’urgence. Si cette approche a une utilité indéniable, il ne nous semble pas possible d’isoler cette crise suicidaire du contexte de l’adolescence. Il apparaît, cependant, indispensable de tenter d’en saisir ses origines latentes, porteuses de sens, à travers l’observation des aménagements psychiques dans une dynamique globale. À trop vouloir modéliser et prédire, le clinicien urgentiste risquerait de se limiter à une vision réductrice du comportement et, surtout, de manquer quelque chose d’essentiel dans la rencontre avec l’adolescent ayant adopté une conduite suicidaire. En effet, comme le fait remarquer Alvin , pédiatre très engagé dans la prise en charge des adolescents suicidants au CHU de Bicêtre, les futurs médecins apprennent très vite à avoir peur des suicidants, notamment en lisant durant leur formation le chapitre « Conduites à tenir face à des idées ou conduites suicidaires » du Livre de l’interne en psychiatrie : « Conduite à tenir : idéations suicidaires avérées ou suspectées. La question est celle de l’évaluation du “risque de passage à l’acte suicidaire” – La tentative a eu lieu : il faut évaluer le “risque de récidive”. Dans ces deux cas, il s’agit de rechercher les facteurs de “risque suicidaire” ». Nous affirmons avec Alvin que « la bonne médecine sera toujours identifiée comme celle capable de s’occuper, dans le même mouvement, des cœurs autant que des corps » . Les soins psychiques intensifs à l’hôpital, en collaboration avec les soins médicaux, œuvrent pour cette prise en charge globale.
2. Prise en charge pluridisciplinaire
À l’hôpital Necker – Enfants Malades, les adolescents suicidants sont hospitalisés dans les services de pédiatrie générale et spécialisée parmi les autres jeunes atteints de maladies souvent graves. La prise en charge est mixte : pédiatrique et pédopsychiatrique. L’équipe mobile de pédopsychiatrie de liaison coordonnée par un pédopsychiatre est soucieuse d’une prise en charge pluridisciplinaire des adolescents hospitalisés à la suite d’un geste suicidaire ou d’une menace suicidaire aux côtés des équipes pédiatriques qui les accueillent. Composée d’un psychiatre senior, d’un chef de clinique, de deux ou trois internes en pédopsychiatrie, d’une infirmière et d’une psychologue, l’équipe de pédopsychiatrie de liaison s’attache à favoriser un tissage de liens et ce, à de multiples niveaux : liens entre la pédopsychiatrie et les différents services où les adolescents suicidants sont hospitalisés, liens entre une approche somatique et une approche psychique, liens intersubjectifs entre le patient, les membres de sa famille et les soignants, liens intrapsychiques entre représentations et affects. Ce travail de liaison permet d’offrir à l’adolescent en souffrance une écoute plurielle pour accueillir sa douleur psychique reportée sur son corps meurtri par son geste et l’aider peu à peu à verbaliser et à élaborer cette souffrance. Le psychiatre, le référent (le plus souvent un interne en pédopsychiatrie) qui accompagne l’adolescent et sa famille tout au long de l’hospitalisation et qui préconise un suivi thérapeutique adéquat après la sortie, s’attache tout particulièrement à cet objectif. À ses côtés, l’infirmière en pédopsychiatrie a un rôle transversal essentiel puisqu’elle va conforter la cohésion des équipes somatique et pédopsychiatrique autour de l’adolescent. Les infirmières des services de pédiatrie, dont la vocation principale est de combattre la maladie, sont souvent démunies face à l’adolescent s’étant auto-attaqué et ayant de son fait risqué la mort. Le soutien de l’infirmière de liaison, bien formée à la psychopathologie, aide les infirmières pédiatriques à apporter des soins à l’adolescent suicidant avec moins d’appréhension et avec une meilleure compréhension de ses troubles psychiques. L’équipe de pédopsychiatrie de liaison collabore enfin avec des enseignants, l’équipe d’animateurs et, si nécessaire, une assistante sociale qui vont eux aussi participer à la réinsertion de l’adolescent dans son environnement social et scolaire. L’adolescent qui risque sa vie cherche à fuir une réalité devenue insupportable et met à l’épreuve ses limites corporelles, et psychiques. Cette interrogation des limites peut notamment faire écho à une porosité des barrières intergénérationnelles . Les dysfonctionnements familiaux constituent très souvent de véritables cercles vicieux : l’adolescent peut être dépositaire des projections parentales, amplifiées par une collusion entre les parents projetants et tirées des gratifications de cette fonction indispensable dans l’économie psychique des parents, notamment l’évitement en partie de la confrontation à la perte imposée par le processus d’adolescence. Une séparation familiale durant le début de l’hospitalisation suivie d’entretiens familiaux avec le psychiatre référent permet de marquer la séparation plus ou moins consciemment recherchée par l’adolescent et d’aider sa famille à amorcer l’acceptation de l’individuation progressive de leur enfant. Le travail d’équipe pluridisciplinaire offre à l’adolescent suicidant, durant son hospitalisation, un cadre contenant et réinstaurant des limites structurantes, ce qui favorise la relance de mouvements psychiques davantage tournés vers la vie.
3. Des bilans psychologiques approfondis
Cette prise en charge globale, somatique et psychique, de l’adolescent suicidant a récemment été renforcée par une attention particulière accordée à une évaluation approfondie du fonctionnement psychique et à l’évolution du fonctionnement psychique un an plus tard. Un bilan psychologique à l’aide des tests projectifs Rorschach et Thematic Apperception Test (TAT) est proposé durant l’hospitalisation, ce qui présente de multiples intérêts :
• premièrement, le geste suicidaire ne peut préjuger d’aucune structure de personnalité. Même si les fonctionnements limites sont très fréquents, toutes les autres structures de personnalité sont possibles et par ailleurs, plusieurs fonctionnements psychiques peuvent coexister chez un même sujet, surtout au moment de l’adolescence où souvent un diagnostic unique ne peut guère s’imposer. Chaque situation est unique et il importe de prendre en considération l’histoire singulière, et le fonctionnement psychique de chaque patient. D’ailleurs, l’hospitalisation dans des services de pédiatrie – plutôt qu’en psychiatrie – est tout à fait justifiée par la rareté de psychopathologie lourde. Cependant, l’approche corporelle de la médecine somatique est indissociable d’une attention psychopathologique soutenue, même en cas d’absence de troubles psychiatriques graves ;
• deuxièmement, de nombreux adolescents éprouvent des difficultés à parler d’eux directement. Lorsque l’entretien libre s’avère malaisé, les tests projectifs Rorschach et TAT peuvent favoriser l’expression du vécu interne, y compris inconscient, de manière indirecte. Les adolescents peuvent ainsi bénéficier d’une aire transitionnelle leur permettant de projeter une part de leur subjectivité de manière créative, via un médiateur . Les épreuves projectives permettent, en effet, tout à la fois l’expression des problématiques intimes et leur déguisement et donc, le respect des désirs contradictoires à cette période de la vie de communiquer, et d’être compris tout en préservant un self intime qui ne communique pas ;
• troisièmement, le diagnostic psychologique à l’aide d’un bilan psychologique et le diagnostic clinique ne se recouvrent pas toujours totalement. Les épreuves projectives sont des outils qui permettent de nuancer en finesse les caractéristiques du fonctionnement psychique. En effet, chez un sujet présentant une symptomatologie bruyante, les épreuves projectives vont permettre de pointer les ressources du sujet sur lesquelles le thérapeute va pouvoir s’appuyer. A contrario, certains indices relevés à l’aide de ces tests peuvent laisser préjuger d’une évolution inquiétante et inciter à une vigilance accrue, notamment la massivité ou la prépondérance des identifications mélancoliques .
Les tests projectifs offrent une « photographie » du fonctionnement mental à un moment donné de la vie du sujet. Le Rorschach et le TAT sont des tests de personnalité qui permettent d’appréhender les modalités de fonctionnement psychique des sujets en dévoilant les problématiques prévalentes, les angoisses qui y sont associées, les mécanismes de défense et leur efficacité, et la qualité des processus de pensée. Leurs caractéristiques les rendent complémentaires : le premier, par ses taches d’encre éparpillées fragmentaires, sollicite essentiellement la projection de l’image du corps, le narcissisme, le registre identitaire ; le second, avec un matériel figuratif souvent associé à des scénarii relationnels et une consigne mobilisant le rapport spatiotemporel (« une “histoire” à raconter »), explore les relations d’objet et les identifications. Si la congruence des deux tests est généralement forte dans les organisations psychiques stables, qu’elles soient du registre psychotique ou névrotique, le diagnostic différentiel (fonctionnement limite/fonctionnement psychotique, par exemple) exige, en revanche, la plupart du temps la mise en rapport du mode de réponse à la stimulation des deux épreuves . Par ailleurs, les diagnostics de personnalité limites ou narcissiques étant délicats à établir et les diagnostics effectués durant la période de l’adolescence pouvant se caractériser par leur instabilité, la confrontation des deux épreuves projectives est essentielle.
Le vécu d’effraction psychique marque les réponses aux tests projectifs. Mais, il apparaît précieux de pouvoir, par le truchement de la surface signifiante que constituent le Rorschach et le TAT, apprécier les mouvements psychiques des patients, notamment leur capacité à donner a minima un sens à leur trauma. Il ne s’agit pas tant de trouver une entité diagnostique pour qualifier le fonctionnement psychique que d’apprécier l’ensemble des conduites psychiques du sujet afin de proposer une prise en charge la plus adéquate possible. Par l’intermédiaire du bilan projectif, il est proposé au sujet de vivre une « expérience », différente de celle qu’il peut avoir par les entretiens psychiatriques, qui renvoie à la communication au sein d’une relation intersubjective et personnalisée. Un moment et un espace entièrement consacrés au sujet sont offerts avec la perspective clairement formulée d’essayer d’éclaircir, avec son aide et sa participation effectives, les éléments sous-jacents aux difficultés qu’il présente. L’adolescent peut nourrir l’espoir que les motions pulsionnelles qui l’encombrent et le submergent puissent être véhiculées par le matériel médiateur pour ensuite être accueillies et traduites par un autre présent et non intrusif, tel une « mère suffisamment bonne » . Les matériels du Rorschach et du TAT, comme surfaces de projection, sont là pour permettre une énonciation et une mise en forme des éprouvés archaïques, et des objets internes. La projection peut enfin prendre le relais du retournement contre soi des mouvements destructeurs et ainsi, procurer un contenant aux contenus bruts qui cherchent un lieu pour se poser et s’énoncer. En ce sens, outre sa visée diagnostique, l’expérience de la passation des épreuves projectives se révèle potentiellement thérapeutique en elle-même par son aspect cathartique. Elle fait donc partie de la démarche clinique au sens large proposée durant l’hospitalisation. Le clinicien qui rencontre le sujet dans la situation de testing ne fait pas que prendre un protocole. Il est surtout sollicité dans ses capacités de « traducteur » de messages, plus particulièrement des éléments fantasmatiques infiltrant ces messages. Cette démarche participe aux « soins intensifs psychiques », pour reprendre l’expression de Ladame .
À la fin de l’hospitalisation ou quelques jours après l’hospitalisation, un entretien de restitution, mené par l’interne en pédopsychiatrie, l’infirmière de liaison et la psychologue, vient consolider le travail de liaison intrapsychique par une proposition de réappropriation subjective : le clinicien, l’autre présent et accueillant, a pu entendre et traduire. Un écho peut être reçu. L’entretien a lieu dans un premier temps avec l’adolescent seul, dans un deuxième temps en présence des parents. Dans le premier temps de cet entretien de restitution, nous convenons avec l’adolescent de ce qui sera restitué aux parents et de ce que l’adolescent préfère garder pour lui seul. Cet entretien a pour but d’éveiller un auto-investissement qui pourra améliorer la prise en charge du patient, quelle que soit son orientation à l’issue de l’hospitalisation. En effet, si cette ouverture n’est pas encouragée, le clinicien « peut apparaître aux yeux du sujet comme un individu tout-puissant possédant à la fois le savoir sur lui et la compréhension de ce savoir » . La présence de toute l’équipe de pédopsychiatrie de liaison au moment de la restitution peut conforter aux yeux de l’adolescent et de sa famille la cohérence des soins apportés, sur lesquels la possibilité de s’appuyer subsiste même au-delà de l’hospitalisation. Symboliquement, le patient pourra encore davantage s’approprier l’indication thérapeutique ultérieure et lui donner du sens.
4. Après l’hospitalisation, maintenir un lien
Des consultations espacées dans le temps, après l’hospitalisation, avec la psychologue pour faire le point sont importantes, d’une part, pour prévenir les récidives et favoriser la compliance thérapeutique préconisée à la sortie de l’hospitalisation par l’interne en pédopsychiatrie, d’autre part, pour signifier à la famille le caractère non anodin du geste suicidaire – qui pourrait sinon être facilement banalisé, voire « oublié », avec le risque dans ce cas que la crise enkystée ressurgisse encore plus bruyamment par la suite. Dans des situations plus délicates ou lors de souffrances familiales complexes, le psychiatre senior assure un suivi et reste un référent pour le patient, et sa famille.
Vu la mouvance propre au processus adolescent, un nouveau bilan à distance du geste suicidaire a tout son intérêt pour observer la mobilisation possible ou non des ressources psychiques depuis la fin de l’hospitalisation. Ce deuxième bilan mené un an plus tard a pour objectifs :
• une ouverture thérapeutique vis-à-vis de l’adolescent qui voit les soignants, lorsqu’ils lui annoncent, à l’issue de l’hospitalisation, la perspective de ce deuxième bilan, considérant qu’il peut y avoir une évolution de son état psychique ;
• l’observation des éventuels remaniements psychiques chez ces adolescents, en comparant les données des tests projectifs des deux bilans ;
• la connaissance du devenir de ces adolescents, en particulier, s’ils ont récidivé leur geste et s’ils ont été suivis psychologiquement et de quelle manière.
Le protocole de soins pluridisciplinaire et l’intégration des bilans psychologiques s’inscrivent, par ailleurs, dans les préconisations de la Haute Autorité de santé. En effet, le jury de la conférence de consensus sur la reconnaissance et la prise en charge de la crise suicidaire, les 19 et 20 octobre 2000 , s’accorde sur la nécessité de renforcer la prévention secondaire de la crise suicidaire. La difficulté réside dans le fait de cerner les premières manifestations de la crise suicidaire : ses aspects sont très variables, les troubles sont parfois inapparents ; lorsqu’ils existent, ils se manifestent par des signes peu spécifiques et permettent difficilement de prévoir si la crise va évoluer vers une rémission spontanée ou vers une nouvelle tentative de suicide. Il s’avère donc de plus en plus important de travailler à l’amélioration du repérage et, par-là même, de l’organisation d’une prise en charge susceptible d’éviter ou de limiter la fréquence des passages à l’acte. Est recommandée, en 1998, non seulement une hospitalisation systématique de tout adolescent suicidant mais aussi, au cours de cette prise en charge hospitalière, une évaluation plus précise de son état psychique en plus de l’établissement d’une relation de confiance avec le patient et la facilitation de la mise en mots de sa souffrance, en ayant le souci constant de définir et favoriser les soins ultérieurs. Le suivi post-hospitalisation est crucial. Le jury de la conférence de consensus constate, en effet, qu’il y a un risque majeur de récidive dans l’année qui suit le passage à l’acte, d’où la recommandation d’une attention et une mobilisation soutenues durant l’année qui suit le début de la crise.
En dépit de la connaissance des risques de récidive et aussi de la curabilité plus aisée des troubles au moment de l’adolescence, période propice aux changements, le suivi des adolescents suicidants est particulièrement difficile à réaliser. « L’expérience clinique, au même titre que les études formalisées, nous montre quotidiennement que l’interruption prématurée et rapide des soins est la règle et non l’exception ; cette mauvaise adhérence au suivi est estimée, en clinique, à environ trois quarts des cas » .
Les rencontres cliniques durant l’hospitalisation visent donc à amorcer une appropriation et une élaboration des éléments essentiels à la vie psychique, afin qu’elles se poursuivent à l’aide de la relation phorique qui s’établira à l’issue de l’hospitalisation avec le psychothérapeute. Le processus de subjectivation peut redémarrer lorsque l’adolescent rattache son geste à un sens latent. Le sens peut émerger si l’adolescent fait l’expérience de se sentir « contenu » au sein d’une structure et dans un environnement qui ne perde pas de vue ce qui vient de se passer . Pour rétablir la fonctionnalité du préconscient et remettre en activité le fonctionnement psychique temporairement pétrifié, il importe d’être extrêmement attentif à tout ce qui touche à la question du « contenant » et à la relation contenant–contenu, ce qui va permettre le rétablissement d’un contenant de pensée : « une fois que le “contenant” interne est suffisamment solide et que le processus de liaison, déliaison et reliaison est redevenu fonctionnel, le sens peut progressivement se substituer à l’acte » .
5. Facteurs porteurs de changements potentiels
Une recherche menée dans le cadre de la thèse de doctorat en psychologie clinique et psychopathologie de l’une d’entre nous a mis en exergue l’intérêt de la pratique de bilans psychologiques répétés à un an d’intervalle.
Au-delà de la variété des fonctionnements psychiques des adolescents suicidants, comme souligné plus haut, nous avons repéré un aménagement identificatoire commun aux sujets peu après leur geste suicidaire, à des degrés d’intensité variables : l’irruption d’identifications mélancoliques, c’est-à-dire des identifications à des objets morts ou du moins perdus et dans tous les cas mal différenciés . Lorsque l’objet est trop présent ou trop absent, lorsque l’éprouvé de perte de cet objet dont la différenciation est peu effective devient trop douloureux, les sollicitations pulsionnelles deviennent dévastatrices, les affects menaçants et par conséquent, soit les représentations véhiculent un contenu mortifère , soit la possibilité de représenter risque, elle aussi, de disparaître et, de ce fait, le vécu de la perte. C’est cette expérience de menace de perte de soi, ou plus précisément de ce qui fait que l’on peut s’éprouver comme vivant, que traduit l’identification mélancolique. Elle s’accompagne aussi d’une confusion moi – non-moi et d’un brouillage des repères générationnels.
En comparant 30 paires de bilans, nous constatons que 83 % des sujets présentent un an après leur geste suicidaire des changements à au moins l’un des niveaux suivants :
• la gestion pulsionnelle, par une augmentation des motions pulsionnelles libidinales, une contention des excitations et une liaison accrue entre affects, et représentations ;
• l’élaboration de la problématique de perte, en lien avec une diminution des identifications mélancoliques ;
• une réorganisation partielle des défenses.
Parmi les patients qui n’ont pas fait preuve d’amélioration du fonctionnement psychique, nous n’avons pas noté d’aggravation significative ni selon les tests projectifs ni d’après les propos au cours des entretiens. Tout changement, aussi minime soit-il, nous semble mériter d’être considéré comme favorable puisqu’il signe une possible mobilisation.
Aux épreuves projectives, la diminution des réponses pouvant témoigner d’identifications mélancoliques est significative. Au TAT, nous remarquons aussi une nette tendance à l’augmentation de réponses témoignant de motions pulsionnelles libidinales et une meilleure liaison de celles-ci aux motions agressives.
En particulier, les aménagements psychiques vont surtout dans le sens d’une consolidation des défenses narcissiques, d’un meilleur ancrage dans la réalité externe, d’un moindre éprouvé de carence affective, un moindre sentiment d’insécurité ou de vide et d’une (re)construction d’enveloppes identitaires contenantes, à travers un investissement accru des limites.
Au Rorschach, lors du bilan qui suit le geste suicidaire, les réponses se réfèrent très souvent à des contenus effractés et « pénétrés » (exemples : « rat mort, écrasé », « feuille trouée », « robe déchirée »). A contrario, les réponses du bilan un an plus tard apparaissent plus délimitées par des « barrières » structurantes (exemples : « masque », « veste », « peau »). L’élévation des réponses de type « barrière », ainsi que la diminution des réponses de type « pénétration » traduisent une image de soi mieux intégrée rendant compte d’un moi dont les limites plus contenantes et protectrices se rétablissent à distance du geste suicidaire. Le Moi-Peau qui peut être tissé ou retissé à distance du geste suicidaire procure non seulement une délimitation de soi, compensant les atteintes narcissiques, mais aussi un moyen d’échange plus confiant avec autrui. Les défenses narcissiques mobilisées sont susceptibles de contenir les mouvements pulsionnels, de permettre une relance des capacités de représentation et de favoriser les mécanismes de refoulement.
Nous constatons que les sujets qui évoluent le mieux psychiquement sont ceux qui, lors du premier bilan qui suit le geste suicidaire, peuvent inscrire les identifications mélancoliques dans une scène meurtrière : dans un tel scénario, non seulement la mort est figurée par un objet, elle ne reste pas qu’une entité abstraite et confuse, mais l’objet est mort parce qu’il est tué. Chez ces sujets, les réponses témoignant d’identifications mélancoliques diminuent en nombre ou en intensité et les processus de liaison sont plus opérants un an après le geste suicidaire . Dans les jours qui suivent le geste suicidaire, la mise en scène rend l’identification mélancolique moins massive, donc moins sidérante. Elle donne à l’identification mélancolique une forme, un corps pourvu d’un minimum de masse pour que puisse être exercée sur lui une préhension : la chute infinie de l’objet mort s’interrompt, celui-ci peut être « pris » dans un scénario meurtrier, dans un passage entre la vie et la mort, pour être ensuite inhumé par un processus de deuil et de refoulement. À l’excès ou au manque d’image répond l’impératif d’un meurtre de ou par l’objet, avec lequel le moi est confondu. La nécessaire saisie de l’objet mort est peut-être ce qui amène Freud à ne concevoir notre relation à la mort qu’en termes de représentations de meurtre. « Freud rabat, à bon escient, le rapport à notre mort sur la mise à mort censée caractériser notre relation à la mort » .
Dès lors, la présence de scénarios meurtriers dans les protocoles de Rorschach et de TAT constitue un critère permettant d’espérer une capacité accrue de mobilisation psychique de bonne augure pour une évolution favorable. Les représentations de meurtre peuvent traduire l’affirmation d’une différenciation sur le chemin de la séparation et peuvent préfigurer le processus d’obsolescence nécessaire au dégagement du pubertaire. Elles peuvent constituer une mise en forme d’éprouvés en quête de traduction, le complexe nodal parricide–infanticide réactualisé par le pubertaire prenant une acuité traumatique et énigmatique. Les épreuves projectives proposent un espace scénique sur un support signifiant. Elles peuvent constituer un « objeu », un objet externe mis à disposition pour permettre une projection de soi et une représentation de la matière première psychique qui n’étaient jusqu’alors pas saisissables . Elles incitent le sujet à partir des stimuli manifestes pour aller jusqu’à une mise en mots, via le repérage et la traduction personnels de certains aspects qui parlent au sujet. Partie par partie, l’expérience subjective peut ainsi être décondensée, explorée, apprivoisée ouvrant l’espoir d’une progressive intégration dans la trame de la vie psychique. Plus que de dévoiler, il s’agit de former – ou créer – un sens absent à l’aide de cet espace de représentation. Le processus thérapeutique a pour vocation la poursuite de cette mise en forme, vers une progressive élaboration de scènes pubertaires permettant de saisir et de contenir les éprouvés traumatiques.
Les représentations meurtrières témoignent d’une reconstruction du traumatisme perdu , la substitution de l’acte par le scénario psychique témoignant du processus de liaison intrapsychique triomphant, malgré tout, sur la pulsion de mort. Cette reconstruction est rendue possible par le travail d’équipe mené auprès des adolescents durant leur hospitalisation. La présence de scénarios meurtriers dans les protocoles projectifs nous apparaît non seulement comme une ressource propre aux adolescents, qui peuvent ainsi progressivement se dégager du trauma, mais aussi comme un signe que les rencontres cliniques ayant précédé la situation de testing, avec le psychiatre référent, les soignants du service, les intervenants médicosociaux et nous-même, ont pu constituer des « “conteneurs actifs” de la destructivité » et donner lieu à une amorce de mise en sens, appelée à être élaborée par la suite au cours d’une psychothérapie.
6. Un cadre contenant pour transformer la violence et faire advenir du sens
Le geste suicidaire peut être vu comme une violence contre la violence ressentie par l’adolescent qui peut être liée à de multiples facteurs individuels et familiaux, à considérer au cas par cas. Cependant, nous ne devons pas négliger le nouveau traumatisme, destructeur, que le geste suicidaire est à son tour susceptible de générer et qui demande une mise en sens féconde. Il importe qu’en tant que nouvelle brèche dans l’équilibre narcissico-objectal, ce trauma « fasse événement » au plan psychique et au plan familial. Nous tentons, à l’hôpital, de favoriser le travail de liaison intrapsychique et interrelationnel qui pourra donner une épaisseur symbolique à l’événement, permettant au sujet et aussi à la famille de se le réapproprier. Le recours au geste suicidaire peut signer une impasse du processus de subjectivation mais aussi une tentative désespérée de redémarrage de ce processus. Ne sous-estimons pas la gravité de ce geste et sa possible répétition. Cependant, le caractère paradoxal du recours à l’auto-attaque est à souligner : celui-ci peut marquer une tentative de dégagement de l’aliénation totale, au risque de s’ôter la vie tant l’existence dans la confusion est vécue comme insupportable. L’attaque de soi peut signifier une lutte contre la mélancolie, la perspective de la mort apparaissant moins effrayante que celle de la folie. Le geste suicidaire peut marquer un moment de désorganisation transitoire mais les processus de liaison, la construction identitaire et les remaniements identificatoires peuvent être relancés si la souffrance du sujet a pu être entendue, élaborée et mise en sens, ce qui n’est possible que grâce à un travail d’équipe solidaire et cohérent, dans le respect mutuel des spécificités des fonctions de chaque intervenant.
a Service de pédopsychiatrie, hôpital Necker–Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
Available online 21 February 2010.
1. Une approche clinique psychanalytique du geste suicidaire à l’adolescence
Actuellement, la clinique adolescente regorge de faits non pas nouveaux mais en constante augmentation, les gestes suicidaires, qui interrogent le commerce de l’adolescent avec ses objets et la manière dont ils ont été intériorisés.
Parmi les conceptions psychanalytiques du geste suicidaire à l’adolescence, apparaissent deux grandes tendances, même si elles ne se contredisent pas complètement l’une l’autre : la première considère le suicide comme résultant de la crise de l’adolescence, la deuxième considère le suicide comme résultant d’un trouble psychopathologique grave en lien avec la psychose . Depuis les travaux de P. Jeammet et son équipe , et c’est encore plus vrai pour les travaux de Pommereau, s’instaure une position médiane, qui semble prévaloir actuellement.
Les psychanalystes d’adolescents s’accordent pour affirmer que les transformations psychiques et corporelles liées à l’adolescence potentialisent le recours au geste suicidaire et mettent l’accent sur l’extrême sensibilité de ces adolescents à la problématique de la perte à laquelle ils sont confrontés, ainsi que sur leur hyperdépendance aux objets parentaux. Cet éprouvé traumatique de perte a des répercussions sur les identifications : Haim parle des remaniements identitaires propres à l’adolescence, particulièrement problématiques, chez ceux qui recourent au geste suicidaire ; Ladame met l’accent sur l’échec chez les suicidants de la deuxième phase de séparation–individuation caractéristique de l’adolescence et sous-tendue par la mise en œuvre prépondérante de l’identification projective et de l’identification à l’agresseur ; Jeammet et Birot ont souligné un facteur différenciant particulièrement la population d’adolescents suicidants : la difficulté d’élaboration de l’homosexualité psychique, celle-ci recouvrant le lien à l’objet primaire, l’identification et la position anale passive par rapport à l’objet phallique ; Pommereau et Charazac-Brunel insistent enfin sur le rôle prépondérant de certaines identifications morbides dans la genèse du passage à l’acte suicidaire.
Dans une perspective dynamique, ces auteurs mettent l’accent sur une vulnérabilité interne propre aux adolescents suicidaires et aussi sur la défaillance de l’environnement familial, scolaire ou social. Ils tiennent compte de ces deux dimensions, interne et externe, mais la dimension externe semble prendre davantage d’importance aux yeux des auteurs plus récents : Haim , les Laufer Jeammet et Birot insistent surtout sur les carences internes ; Ladame introduit la dimension intersubjective familiale : il met l’accent sur la fragilité interne mais il s’attache également à décrire les défaillances de la structure familiale pouvant avoir des répercussions sur celle-là. Pommereau , Marcelli et Berthau , et Charazac-Brunel évoquent davantage les problèmes d’interaction avec l’environnement, surtout familial. Dans cette prise en compte croissante de l’entourage de l’adolescent, apparaissent plus saillantes les motions cannibaliques, parricides et incestueuses dont le geste suicidaire exprime le défaut d’élaboration psychique. Pommereau a tout particulièrement mis en exergue cette violence transgressive inhérente au geste suicidaire adolescent, geste adressé à l’autre.
Le lien entre externe et interne, c’est-à-dire la manière dont le sujet s’approprie ses expériences, ses éprouvés et y donne sens, est essentiel. Une exploration de la psyché du sujet suicidaire à l’aide d’outils rigoureux s’avère dès lors indispensable pour saisir les processus d’intériorisation et ses éventuelles défaillances. Elle est inhérente à une prise en charge soucieuse de consolider les liens intrapsychiques et intersubjectifs.
Les nouvelles études épidémiologiques mettent en exergue toute une série d’indicateurs de risque de la crise suicidaire et l’approche psychiatrique actuelle vise essentiellement à circonscrire, et évaluer la « crise suicidaire » définie comme une « crise psychique dont le risque majeur est le suicide » selon des critères de gravité, de dangerosité et d’urgence. Si cette approche a une utilité indéniable, il ne nous semble pas possible d’isoler cette crise suicidaire du contexte de l’adolescence. Il apparaît, cependant, indispensable de tenter d’en saisir ses origines latentes, porteuses de sens, à travers l’observation des aménagements psychiques dans une dynamique globale. À trop vouloir modéliser et prédire, le clinicien urgentiste risquerait de se limiter à une vision réductrice du comportement et, surtout, de manquer quelque chose d’essentiel dans la rencontre avec l’adolescent ayant adopté une conduite suicidaire. En effet, comme le fait remarquer Alvin , pédiatre très engagé dans la prise en charge des adolescents suicidants au CHU de Bicêtre, les futurs médecins apprennent très vite à avoir peur des suicidants, notamment en lisant durant leur formation le chapitre « Conduites à tenir face à des idées ou conduites suicidaires » du Livre de l’interne en psychiatrie : « Conduite à tenir : idéations suicidaires avérées ou suspectées. La question est celle de l’évaluation du “risque de passage à l’acte suicidaire” – La tentative a eu lieu : il faut évaluer le “risque de récidive”. Dans ces deux cas, il s’agit de rechercher les facteurs de “risque suicidaire” ». Nous affirmons avec Alvin que « la bonne médecine sera toujours identifiée comme celle capable de s’occuper, dans le même mouvement, des cœurs autant que des corps » . Les soins psychiques intensifs à l’hôpital, en collaboration avec les soins médicaux, œuvrent pour cette prise en charge globale.
2. Prise en charge pluridisciplinaire
À l’hôpital Necker – Enfants Malades, les adolescents suicidants sont hospitalisés dans les services de pédiatrie générale et spécialisée parmi les autres jeunes atteints de maladies souvent graves. La prise en charge est mixte : pédiatrique et pédopsychiatrique. L’équipe mobile de pédopsychiatrie de liaison coordonnée par un pédopsychiatre est soucieuse d’une prise en charge pluridisciplinaire des adolescents hospitalisés à la suite d’un geste suicidaire ou d’une menace suicidaire aux côtés des équipes pédiatriques qui les accueillent. Composée d’un psychiatre senior, d’un chef de clinique, de deux ou trois internes en pédopsychiatrie, d’une infirmière et d’une psychologue, l’équipe de pédopsychiatrie de liaison s’attache à favoriser un tissage de liens et ce, à de multiples niveaux : liens entre la pédopsychiatrie et les différents services où les adolescents suicidants sont hospitalisés, liens entre une approche somatique et une approche psychique, liens intersubjectifs entre le patient, les membres de sa famille et les soignants, liens intrapsychiques entre représentations et affects. Ce travail de liaison permet d’offrir à l’adolescent en souffrance une écoute plurielle pour accueillir sa douleur psychique reportée sur son corps meurtri par son geste et l’aider peu à peu à verbaliser et à élaborer cette souffrance. Le psychiatre, le référent (le plus souvent un interne en pédopsychiatrie) qui accompagne l’adolescent et sa famille tout au long de l’hospitalisation et qui préconise un suivi thérapeutique adéquat après la sortie, s’attache tout particulièrement à cet objectif. À ses côtés, l’infirmière en pédopsychiatrie a un rôle transversal essentiel puisqu’elle va conforter la cohésion des équipes somatique et pédopsychiatrique autour de l’adolescent. Les infirmières des services de pédiatrie, dont la vocation principale est de combattre la maladie, sont souvent démunies face à l’adolescent s’étant auto-attaqué et ayant de son fait risqué la mort. Le soutien de l’infirmière de liaison, bien formée à la psychopathologie, aide les infirmières pédiatriques à apporter des soins à l’adolescent suicidant avec moins d’appréhension et avec une meilleure compréhension de ses troubles psychiques. L’équipe de pédopsychiatrie de liaison collabore enfin avec des enseignants, l’équipe d’animateurs et, si nécessaire, une assistante sociale qui vont eux aussi participer à la réinsertion de l’adolescent dans son environnement social et scolaire. L’adolescent qui risque sa vie cherche à fuir une réalité devenue insupportable et met à l’épreuve ses limites corporelles, et psychiques. Cette interrogation des limites peut notamment faire écho à une porosité des barrières intergénérationnelles . Les dysfonctionnements familiaux constituent très souvent de véritables cercles vicieux : l’adolescent peut être dépositaire des projections parentales, amplifiées par une collusion entre les parents projetants et tirées des gratifications de cette fonction indispensable dans l’économie psychique des parents, notamment l’évitement en partie de la confrontation à la perte imposée par le processus d’adolescence. Une séparation familiale durant le début de l’hospitalisation suivie d’entretiens familiaux avec le psychiatre référent permet de marquer la séparation plus ou moins consciemment recherchée par l’adolescent et d’aider sa famille à amorcer l’acceptation de l’individuation progressive de leur enfant. Le travail d’équipe pluridisciplinaire offre à l’adolescent suicidant, durant son hospitalisation, un cadre contenant et réinstaurant des limites structurantes, ce qui favorise la relance de mouvements psychiques davantage tournés vers la vie.
3. Des bilans psychologiques approfondis
Cette prise en charge globale, somatique et psychique, de l’adolescent suicidant a récemment été renforcée par une attention particulière accordée à une évaluation approfondie du fonctionnement psychique et à l’évolution du fonctionnement psychique un an plus tard. Un bilan psychologique à l’aide des tests projectifs Rorschach et Thematic Apperception Test (TAT) est proposé durant l’hospitalisation, ce qui présente de multiples intérêts :
• premièrement, le geste suicidaire ne peut préjuger d’aucune structure de personnalité. Même si les fonctionnements limites sont très fréquents, toutes les autres structures de personnalité sont possibles et par ailleurs, plusieurs fonctionnements psychiques peuvent coexister chez un même sujet, surtout au moment de l’adolescence où souvent un diagnostic unique ne peut guère s’imposer. Chaque situation est unique et il importe de prendre en considération l’histoire singulière, et le fonctionnement psychique de chaque patient. D’ailleurs, l’hospitalisation dans des services de pédiatrie – plutôt qu’en psychiatrie – est tout à fait justifiée par la rareté de psychopathologie lourde. Cependant, l’approche corporelle de la médecine somatique est indissociable d’une attention psychopathologique soutenue, même en cas d’absence de troubles psychiatriques graves ;
• deuxièmement, de nombreux adolescents éprouvent des difficultés à parler d’eux directement. Lorsque l’entretien libre s’avère malaisé, les tests projectifs Rorschach et TAT peuvent favoriser l’expression du vécu interne, y compris inconscient, de manière indirecte. Les adolescents peuvent ainsi bénéficier d’une aire transitionnelle leur permettant de projeter une part de leur subjectivité de manière créative, via un médiateur . Les épreuves projectives permettent, en effet, tout à la fois l’expression des problématiques intimes et leur déguisement et donc, le respect des désirs contradictoires à cette période de la vie de communiquer, et d’être compris tout en préservant un self intime qui ne communique pas ;
• troisièmement, le diagnostic psychologique à l’aide d’un bilan psychologique et le diagnostic clinique ne se recouvrent pas toujours totalement. Les épreuves projectives sont des outils qui permettent de nuancer en finesse les caractéristiques du fonctionnement psychique. En effet, chez un sujet présentant une symptomatologie bruyante, les épreuves projectives vont permettre de pointer les ressources du sujet sur lesquelles le thérapeute va pouvoir s’appuyer. A contrario, certains indices relevés à l’aide de ces tests peuvent laisser préjuger d’une évolution inquiétante et inciter à une vigilance accrue, notamment la massivité ou la prépondérance des identifications mélancoliques .
Les tests projectifs offrent une « photographie » du fonctionnement mental à un moment donné de la vie du sujet. Le Rorschach et le TAT sont des tests de personnalité qui permettent d’appréhender les modalités de fonctionnement psychique des sujets en dévoilant les problématiques prévalentes, les angoisses qui y sont associées, les mécanismes de défense et leur efficacité, et la qualité des processus de pensée. Leurs caractéristiques les rendent complémentaires : le premier, par ses taches d’encre éparpillées fragmentaires, sollicite essentiellement la projection de l’image du corps, le narcissisme, le registre identitaire ; le second, avec un matériel figuratif souvent associé à des scénarii relationnels et une consigne mobilisant le rapport spatiotemporel (« une “histoire” à raconter »), explore les relations d’objet et les identifications. Si la congruence des deux tests est généralement forte dans les organisations psychiques stables, qu’elles soient du registre psychotique ou névrotique, le diagnostic différentiel (fonctionnement limite/fonctionnement psychotique, par exemple) exige, en revanche, la plupart du temps la mise en rapport du mode de réponse à la stimulation des deux épreuves . Par ailleurs, les diagnostics de personnalité limites ou narcissiques étant délicats à établir et les diagnostics effectués durant la période de l’adolescence pouvant se caractériser par leur instabilité, la confrontation des deux épreuves projectives est essentielle.
Le vécu d’effraction psychique marque les réponses aux tests projectifs. Mais, il apparaît précieux de pouvoir, par le truchement de la surface signifiante que constituent le Rorschach et le TAT, apprécier les mouvements psychiques des patients, notamment leur capacité à donner a minima un sens à leur trauma. Il ne s’agit pas tant de trouver une entité diagnostique pour qualifier le fonctionnement psychique que d’apprécier l’ensemble des conduites psychiques du sujet afin de proposer une prise en charge la plus adéquate possible. Par l’intermédiaire du bilan projectif, il est proposé au sujet de vivre une « expérience », différente de celle qu’il peut avoir par les entretiens psychiatriques, qui renvoie à la communication au sein d’une relation intersubjective et personnalisée. Un moment et un espace entièrement consacrés au sujet sont offerts avec la perspective clairement formulée d’essayer d’éclaircir, avec son aide et sa participation effectives, les éléments sous-jacents aux difficultés qu’il présente. L’adolescent peut nourrir l’espoir que les motions pulsionnelles qui l’encombrent et le submergent puissent être véhiculées par le matériel médiateur pour ensuite être accueillies et traduites par un autre présent et non intrusif, tel une « mère suffisamment bonne » . Les matériels du Rorschach et du TAT, comme surfaces de projection, sont là pour permettre une énonciation et une mise en forme des éprouvés archaïques, et des objets internes. La projection peut enfin prendre le relais du retournement contre soi des mouvements destructeurs et ainsi, procurer un contenant aux contenus bruts qui cherchent un lieu pour se poser et s’énoncer. En ce sens, outre sa visée diagnostique, l’expérience de la passation des épreuves projectives se révèle potentiellement thérapeutique en elle-même par son aspect cathartique. Elle fait donc partie de la démarche clinique au sens large proposée durant l’hospitalisation. Le clinicien qui rencontre le sujet dans la situation de testing ne fait pas que prendre un protocole. Il est surtout sollicité dans ses capacités de « traducteur » de messages, plus particulièrement des éléments fantasmatiques infiltrant ces messages. Cette démarche participe aux « soins intensifs psychiques », pour reprendre l’expression de Ladame .
À la fin de l’hospitalisation ou quelques jours après l’hospitalisation, un entretien de restitution, mené par l’interne en pédopsychiatrie, l’infirmière de liaison et la psychologue, vient consolider le travail de liaison intrapsychique par une proposition de réappropriation subjective : le clinicien, l’autre présent et accueillant, a pu entendre et traduire. Un écho peut être reçu. L’entretien a lieu dans un premier temps avec l’adolescent seul, dans un deuxième temps en présence des parents. Dans le premier temps de cet entretien de restitution, nous convenons avec l’adolescent de ce qui sera restitué aux parents et de ce que l’adolescent préfère garder pour lui seul. Cet entretien a pour but d’éveiller un auto-investissement qui pourra améliorer la prise en charge du patient, quelle que soit son orientation à l’issue de l’hospitalisation. En effet, si cette ouverture n’est pas encouragée, le clinicien « peut apparaître aux yeux du sujet comme un individu tout-puissant possédant à la fois le savoir sur lui et la compréhension de ce savoir » . La présence de toute l’équipe de pédopsychiatrie de liaison au moment de la restitution peut conforter aux yeux de l’adolescent et de sa famille la cohérence des soins apportés, sur lesquels la possibilité de s’appuyer subsiste même au-delà de l’hospitalisation. Symboliquement, le patient pourra encore davantage s’approprier l’indication thérapeutique ultérieure et lui donner du sens.
4. Après l’hospitalisation, maintenir un lien
Des consultations espacées dans le temps, après l’hospitalisation, avec la psychologue pour faire le point sont importantes, d’une part, pour prévenir les récidives et favoriser la compliance thérapeutique préconisée à la sortie de l’hospitalisation par l’interne en pédopsychiatrie, d’autre part, pour signifier à la famille le caractère non anodin du geste suicidaire – qui pourrait sinon être facilement banalisé, voire « oublié », avec le risque dans ce cas que la crise enkystée ressurgisse encore plus bruyamment par la suite. Dans des situations plus délicates ou lors de souffrances familiales complexes, le psychiatre senior assure un suivi et reste un référent pour le patient, et sa famille.
Vu la mouvance propre au processus adolescent, un nouveau bilan à distance du geste suicidaire a tout son intérêt pour observer la mobilisation possible ou non des ressources psychiques depuis la fin de l’hospitalisation. Ce deuxième bilan mené un an plus tard a pour objectifs :
• une ouverture thérapeutique vis-à-vis de l’adolescent qui voit les soignants, lorsqu’ils lui annoncent, à l’issue de l’hospitalisation, la perspective de ce deuxième bilan, considérant qu’il peut y avoir une évolution de son état psychique ;
• l’observation des éventuels remaniements psychiques chez ces adolescents, en comparant les données des tests projectifs des deux bilans ;
• la connaissance du devenir de ces adolescents, en particulier, s’ils ont récidivé leur geste et s’ils ont été suivis psychologiquement et de quelle manière.
Le protocole de soins pluridisciplinaire et l’intégration des bilans psychologiques s’inscrivent, par ailleurs, dans les préconisations de la Haute Autorité de santé. En effet, le jury de la conférence de consensus sur la reconnaissance et la prise en charge de la crise suicidaire, les 19 et 20 octobre 2000 , s’accorde sur la nécessité de renforcer la prévention secondaire de la crise suicidaire. La difficulté réside dans le fait de cerner les premières manifestations de la crise suicidaire : ses aspects sont très variables, les troubles sont parfois inapparents ; lorsqu’ils existent, ils se manifestent par des signes peu spécifiques et permettent difficilement de prévoir si la crise va évoluer vers une rémission spontanée ou vers une nouvelle tentative de suicide. Il s’avère donc de plus en plus important de travailler à l’amélioration du repérage et, par-là même, de l’organisation d’une prise en charge susceptible d’éviter ou de limiter la fréquence des passages à l’acte. Est recommandée, en 1998, non seulement une hospitalisation systématique de tout adolescent suicidant mais aussi, au cours de cette prise en charge hospitalière, une évaluation plus précise de son état psychique en plus de l’établissement d’une relation de confiance avec le patient et la facilitation de la mise en mots de sa souffrance, en ayant le souci constant de définir et favoriser les soins ultérieurs. Le suivi post-hospitalisation est crucial. Le jury de la conférence de consensus constate, en effet, qu’il y a un risque majeur de récidive dans l’année qui suit le passage à l’acte, d’où la recommandation d’une attention et une mobilisation soutenues durant l’année qui suit le début de la crise.
En dépit de la connaissance des risques de récidive et aussi de la curabilité plus aisée des troubles au moment de l’adolescence, période propice aux changements, le suivi des adolescents suicidants est particulièrement difficile à réaliser. « L’expérience clinique, au même titre que les études formalisées, nous montre quotidiennement que l’interruption prématurée et rapide des soins est la règle et non l’exception ; cette mauvaise adhérence au suivi est estimée, en clinique, à environ trois quarts des cas » .
Les rencontres cliniques durant l’hospitalisation visent donc à amorcer une appropriation et une élaboration des éléments essentiels à la vie psychique, afin qu’elles se poursuivent à l’aide de la relation phorique qui s’établira à l’issue de l’hospitalisation avec le psychothérapeute. Le processus de subjectivation peut redémarrer lorsque l’adolescent rattache son geste à un sens latent. Le sens peut émerger si l’adolescent fait l’expérience de se sentir « contenu » au sein d’une structure et dans un environnement qui ne perde pas de vue ce qui vient de se passer . Pour rétablir la fonctionnalité du préconscient et remettre en activité le fonctionnement psychique temporairement pétrifié, il importe d’être extrêmement attentif à tout ce qui touche à la question du « contenant » et à la relation contenant–contenu, ce qui va permettre le rétablissement d’un contenant de pensée : « une fois que le “contenant” interne est suffisamment solide et que le processus de liaison, déliaison et reliaison est redevenu fonctionnel, le sens peut progressivement se substituer à l’acte » .
5. Facteurs porteurs de changements potentiels
Une recherche menée dans le cadre de la thèse de doctorat en psychologie clinique et psychopathologie de l’une d’entre nous a mis en exergue l’intérêt de la pratique de bilans psychologiques répétés à un an d’intervalle.
Au-delà de la variété des fonctionnements psychiques des adolescents suicidants, comme souligné plus haut, nous avons repéré un aménagement identificatoire commun aux sujets peu après leur geste suicidaire, à des degrés d’intensité variables : l’irruption d’identifications mélancoliques, c’est-à-dire des identifications à des objets morts ou du moins perdus et dans tous les cas mal différenciés . Lorsque l’objet est trop présent ou trop absent, lorsque l’éprouvé de perte de cet objet dont la différenciation est peu effective devient trop douloureux, les sollicitations pulsionnelles deviennent dévastatrices, les affects menaçants et par conséquent, soit les représentations véhiculent un contenu mortifère , soit la possibilité de représenter risque, elle aussi, de disparaître et, de ce fait, le vécu de la perte. C’est cette expérience de menace de perte de soi, ou plus précisément de ce qui fait que l’on peut s’éprouver comme vivant, que traduit l’identification mélancolique. Elle s’accompagne aussi d’une confusion moi – non-moi et d’un brouillage des repères générationnels.
En comparant 30 paires de bilans, nous constatons que 83 % des sujets présentent un an après leur geste suicidaire des changements à au moins l’un des niveaux suivants :
• la gestion pulsionnelle, par une augmentation des motions pulsionnelles libidinales, une contention des excitations et une liaison accrue entre affects, et représentations ;
• l’élaboration de la problématique de perte, en lien avec une diminution des identifications mélancoliques ;
• une réorganisation partielle des défenses.
Parmi les patients qui n’ont pas fait preuve d’amélioration du fonctionnement psychique, nous n’avons pas noté d’aggravation significative ni selon les tests projectifs ni d’après les propos au cours des entretiens. Tout changement, aussi minime soit-il, nous semble mériter d’être considéré comme favorable puisqu’il signe une possible mobilisation.
Aux épreuves projectives, la diminution des réponses pouvant témoigner d’identifications mélancoliques est significative. Au TAT, nous remarquons aussi une nette tendance à l’augmentation de réponses témoignant de motions pulsionnelles libidinales et une meilleure liaison de celles-ci aux motions agressives.
En particulier, les aménagements psychiques vont surtout dans le sens d’une consolidation des défenses narcissiques, d’un meilleur ancrage dans la réalité externe, d’un moindre éprouvé de carence affective, un moindre sentiment d’insécurité ou de vide et d’une (re)construction d’enveloppes identitaires contenantes, à travers un investissement accru des limites.
Au Rorschach, lors du bilan qui suit le geste suicidaire, les réponses se réfèrent très souvent à des contenus effractés et « pénétrés » (exemples : « rat mort, écrasé », « feuille trouée », « robe déchirée »). A contrario, les réponses du bilan un an plus tard apparaissent plus délimitées par des « barrières » structurantes (exemples : « masque », « veste », « peau »). L’élévation des réponses de type « barrière », ainsi que la diminution des réponses de type « pénétration » traduisent une image de soi mieux intégrée rendant compte d’un moi dont les limites plus contenantes et protectrices se rétablissent à distance du geste suicidaire. Le Moi-Peau qui peut être tissé ou retissé à distance du geste suicidaire procure non seulement une délimitation de soi, compensant les atteintes narcissiques, mais aussi un moyen d’échange plus confiant avec autrui. Les défenses narcissiques mobilisées sont susceptibles de contenir les mouvements pulsionnels, de permettre une relance des capacités de représentation et de favoriser les mécanismes de refoulement.
Nous constatons que les sujets qui évoluent le mieux psychiquement sont ceux qui, lors du premier bilan qui suit le geste suicidaire, peuvent inscrire les identifications mélancoliques dans une scène meurtrière : dans un tel scénario, non seulement la mort est figurée par un objet, elle ne reste pas qu’une entité abstraite et confuse, mais l’objet est mort parce qu’il est tué. Chez ces sujets, les réponses témoignant d’identifications mélancoliques diminuent en nombre ou en intensité et les processus de liaison sont plus opérants un an après le geste suicidaire . Dans les jours qui suivent le geste suicidaire, la mise en scène rend l’identification mélancolique moins massive, donc moins sidérante. Elle donne à l’identification mélancolique une forme, un corps pourvu d’un minimum de masse pour que puisse être exercée sur lui une préhension : la chute infinie de l’objet mort s’interrompt, celui-ci peut être « pris » dans un scénario meurtrier, dans un passage entre la vie et la mort, pour être ensuite inhumé par un processus de deuil et de refoulement. À l’excès ou au manque d’image répond l’impératif d’un meurtre de ou par l’objet, avec lequel le moi est confondu. La nécessaire saisie de l’objet mort est peut-être ce qui amène Freud à ne concevoir notre relation à la mort qu’en termes de représentations de meurtre. « Freud rabat, à bon escient, le rapport à notre mort sur la mise à mort censée caractériser notre relation à la mort » .
Dès lors, la présence de scénarios meurtriers dans les protocoles de Rorschach et de TAT constitue un critère permettant d’espérer une capacité accrue de mobilisation psychique de bonne augure pour une évolution favorable. Les représentations de meurtre peuvent traduire l’affirmation d’une différenciation sur le chemin de la séparation et peuvent préfigurer le processus d’obsolescence nécessaire au dégagement du pubertaire. Elles peuvent constituer une mise en forme d’éprouvés en quête de traduction, le complexe nodal parricide–infanticide réactualisé par le pubertaire prenant une acuité traumatique et énigmatique. Les épreuves projectives proposent un espace scénique sur un support signifiant. Elles peuvent constituer un « objeu », un objet externe mis à disposition pour permettre une projection de soi et une représentation de la matière première psychique qui n’étaient jusqu’alors pas saisissables . Elles incitent le sujet à partir des stimuli manifestes pour aller jusqu’à une mise en mots, via le repérage et la traduction personnels de certains aspects qui parlent au sujet. Partie par partie, l’expérience subjective peut ainsi être décondensée, explorée, apprivoisée ouvrant l’espoir d’une progressive intégration dans la trame de la vie psychique. Plus que de dévoiler, il s’agit de former – ou créer – un sens absent à l’aide de cet espace de représentation. Le processus thérapeutique a pour vocation la poursuite de cette mise en forme, vers une progressive élaboration de scènes pubertaires permettant de saisir et de contenir les éprouvés traumatiques.
Les représentations meurtrières témoignent d’une reconstruction du traumatisme perdu , la substitution de l’acte par le scénario psychique témoignant du processus de liaison intrapsychique triomphant, malgré tout, sur la pulsion de mort. Cette reconstruction est rendue possible par le travail d’équipe mené auprès des adolescents durant leur hospitalisation. La présence de scénarios meurtriers dans les protocoles projectifs nous apparaît non seulement comme une ressource propre aux adolescents, qui peuvent ainsi progressivement se dégager du trauma, mais aussi comme un signe que les rencontres cliniques ayant précédé la situation de testing, avec le psychiatre référent, les soignants du service, les intervenants médicosociaux et nous-même, ont pu constituer des « “conteneurs actifs” de la destructivité » et donner lieu à une amorce de mise en sens, appelée à être élaborée par la suite au cours d’une psychothérapie.
6. Un cadre contenant pour transformer la violence et faire advenir du sens
Le geste suicidaire peut être vu comme une violence contre la violence ressentie par l’adolescent qui peut être liée à de multiples facteurs individuels et familiaux, à considérer au cas par cas. Cependant, nous ne devons pas négliger le nouveau traumatisme, destructeur, que le geste suicidaire est à son tour susceptible de générer et qui demande une mise en sens féconde. Il importe qu’en tant que nouvelle brèche dans l’équilibre narcissico-objectal, ce trauma « fasse événement » au plan psychique et au plan familial. Nous tentons, à l’hôpital, de favoriser le travail de liaison intrapsychique et interrelationnel qui pourra donner une épaisseur symbolique à l’événement, permettant au sujet et aussi à la famille de se le réapproprier. Le recours au geste suicidaire peut signer une impasse du processus de subjectivation mais aussi une tentative désespérée de redémarrage de ce processus. Ne sous-estimons pas la gravité de ce geste et sa possible répétition. Cependant, le caractère paradoxal du recours à l’auto-attaque est à souligner : celui-ci peut marquer une tentative de dégagement de l’aliénation totale, au risque de s’ôter la vie tant l’existence dans la confusion est vécue comme insupportable. L’attaque de soi peut signifier une lutte contre la mélancolie, la perspective de la mort apparaissant moins effrayante que celle de la folie. Le geste suicidaire peut marquer un moment de désorganisation transitoire mais les processus de liaison, la construction identitaire et les remaniements identificatoires peuvent être relancés si la souffrance du sujet a pu être entendue, élaborée et mise en sens, ce qui n’est possible que grâce à un travail d’équipe solidaire et cohérent, dans le respect mutuel des spécificités des fonctions de chaque intervenant.
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