Si, comme chacun le souhaite, la piste solide évoquée aujourd'hui dans un article publié dans les Annales de l'Académie nationale américaine des sciences (Pnas) aboutit à un traitement efficace, la petite histoire retiendra la curieuse manière dont cette idée a été ensemencée.
Le professeur de neurologie Lawrence Steinman, de l'Université de Stanford, est un spécialiste internationalement reconnu de la sclérose en plaques. Il est un des hommes clés de la mise au point du natalizumab, anticorps monoclonal actif contre cette maladie neurologique caractérisée par la destruction progressive de l'enveloppe protectrice des nerfs du cerveau et de la moelle épinière, enveloppe jouant un rôle clé dans la conduction de l'influx nerveux. Elle peut affecter les personnes de tout âge et aboutir, dans les cas les plus graves, à la paralysie et la perte de la vision.
Mais l'excellence académique ne protège pas contre les tracas de santé. Il y a huit ans, Steinman sort de chez son médecin avec une prescription de traitement contre l'hypertension à base de lisinopril. Un médicament « banal » au sens où il est utilisé par des millions d'hypertendus sous les marques de Zestril ou de Prinivil. C'est en cherchant à comprendre quel était le mode d'action de son propre médicament que Lawrence Steinman découvre qu'en agissant sur l'angiotensine, peptide dont les récepteurs tapissent les parois des vaisseaux sanguins, celui-ci pourrait aussi avoir un effet contre la sclérose.
Reprenant sa casquette de chercheur, Steinman a validé cette hypothèse en analysant les lésions de patients autopsiés et en y vérifiant le taux élevé de récepteurs de l'angiotensine. L'équipe est ensuite passée à l'expérimentation animale en provoquant chez des souris des lésions cérébrales similaires à celles responsables de la sclérose en plaques chez les humains. Certaines souris ont été soignées avec le fameux lisinopril. Et elles ont produit un grand nombre de cellules immunitaires appelées lymphocytes T. Ces cellules empêchent chez les souris de laboratoire comme chez les humains les maladies auto-immunes dans lesquelles le système immunitaire attaque des cellules et tissus sains de l'organisme en ne les reconnaissant pas comme « les siens ».
Les animaux traités avec le lisinopril n'ont pas développé les symptômes de la maladie. Plus étonnant, les souris déjà paralysées, elles, ont rapidement connu une disparition de leur paralysie.
Selon le docteur Steinman, les résultats de cette recherche laissent penser que le lisinopril pourrait avoir le même effet chez des personnes atteintes de sclérose en plaques ou même souffrant d'autres maladies auto-immunes. Il souligne l'importance de tester le lisinopril chez des malades atteints de sclérose en plaques et espère conduire des essais cliniques en 2010.
C'est essentiel : le lisinopril a fait baisser l'inflammation, mais ne semble pas avoir privé les souris de leur capacité immunitaire « utile ». Un immunologiste de l'Imperial College de Londres non impliqué dans cette recherche l'a jaugé essentielle « si elle permet un jour de traiter les patients avec un produit qui coûterait 1 % du prix des médicaments actuellement utilisés contre cette maladie ».
« Il faut rapidement faire des tests humains »
ENTRETIEN
Le professeur Christian Sindic est chef de service associé en neurologie aux Hôpitaux universitaires Saint-Luc (UCL). Il dirige l'unité de neurochimie.
Un anti-tenseur actif contre une dégénérescence nerveuse ? N'est-ce pas surprenant ?
Moins qu'il n'y paraît. Cette hypothèse est basée sur des travaux qui montrent que les lymphocytes actifs dans le processus de la sclérose en plaques, en franchissant la barrière hémato-encéphalée, s'appuient sur les récepteurs de l'angiotensine. Or, le lisinopril est un inhibiteur de l'enzyme de conversion, qui bloque la production d'angiotensine. En la bloquant, on peut arrêter la rupture de la barrière et, théoriquement et sur modèle animal, bloquer cette rupture. Mais le plus étonnant n'est pas là : il se situe dans le fait que le même médicament semble faire proliférer les lymphocytes T régulateurs (T-reg), des agents essentiels de l'immunité humaine. Leur présence en grand nombre permet de tirer la réaction inflammatoire vers le bas. Ce sont, si vous voulez, les pompiers de l'immunité. Le médicament aurait donc un double effet bénéfique.
Utiliserez-vous bientôt ce type de médicament ?
Si j'en donne demain à mes patients, je vais seulement leur provoquer une chute de tension. Mais cette étude semble suffisamment robuste pour que des tests humains soient rapidement développés. On pourrait même faire l'économie du stade 1, ce médicament ayant déjà été pris par des millions de patients. Reste à trouver la bonne dose pour l'effet recherché. Puis à pratiquer une étude placebo sur des milliers de patients. Ce sera d'ailleurs délicat, car la preuve de l'action bénéfique de ce produit semble déjà si nette que l'on voit mal comment on pourrait longtemps en priver une partie des patients, si son effet est confirmé chez l'humain.
lesoir
Le professeur de neurologie Lawrence Steinman, de l'Université de Stanford, est un spécialiste internationalement reconnu de la sclérose en plaques. Il est un des hommes clés de la mise au point du natalizumab, anticorps monoclonal actif contre cette maladie neurologique caractérisée par la destruction progressive de l'enveloppe protectrice des nerfs du cerveau et de la moelle épinière, enveloppe jouant un rôle clé dans la conduction de l'influx nerveux. Elle peut affecter les personnes de tout âge et aboutir, dans les cas les plus graves, à la paralysie et la perte de la vision.
Mais l'excellence académique ne protège pas contre les tracas de santé. Il y a huit ans, Steinman sort de chez son médecin avec une prescription de traitement contre l'hypertension à base de lisinopril. Un médicament « banal » au sens où il est utilisé par des millions d'hypertendus sous les marques de Zestril ou de Prinivil. C'est en cherchant à comprendre quel était le mode d'action de son propre médicament que Lawrence Steinman découvre qu'en agissant sur l'angiotensine, peptide dont les récepteurs tapissent les parois des vaisseaux sanguins, celui-ci pourrait aussi avoir un effet contre la sclérose.
Reprenant sa casquette de chercheur, Steinman a validé cette hypothèse en analysant les lésions de patients autopsiés et en y vérifiant le taux élevé de récepteurs de l'angiotensine. L'équipe est ensuite passée à l'expérimentation animale en provoquant chez des souris des lésions cérébrales similaires à celles responsables de la sclérose en plaques chez les humains. Certaines souris ont été soignées avec le fameux lisinopril. Et elles ont produit un grand nombre de cellules immunitaires appelées lymphocytes T. Ces cellules empêchent chez les souris de laboratoire comme chez les humains les maladies auto-immunes dans lesquelles le système immunitaire attaque des cellules et tissus sains de l'organisme en ne les reconnaissant pas comme « les siens ».
Les animaux traités avec le lisinopril n'ont pas développé les symptômes de la maladie. Plus étonnant, les souris déjà paralysées, elles, ont rapidement connu une disparition de leur paralysie.
Selon le docteur Steinman, les résultats de cette recherche laissent penser que le lisinopril pourrait avoir le même effet chez des personnes atteintes de sclérose en plaques ou même souffrant d'autres maladies auto-immunes. Il souligne l'importance de tester le lisinopril chez des malades atteints de sclérose en plaques et espère conduire des essais cliniques en 2010.
C'est essentiel : le lisinopril a fait baisser l'inflammation, mais ne semble pas avoir privé les souris de leur capacité immunitaire « utile ». Un immunologiste de l'Imperial College de Londres non impliqué dans cette recherche l'a jaugé essentielle « si elle permet un jour de traiter les patients avec un produit qui coûterait 1 % du prix des médicaments actuellement utilisés contre cette maladie ».
« Il faut rapidement faire des tests humains »
ENTRETIEN
Le professeur Christian Sindic est chef de service associé en neurologie aux Hôpitaux universitaires Saint-Luc (UCL). Il dirige l'unité de neurochimie.
Un anti-tenseur actif contre une dégénérescence nerveuse ? N'est-ce pas surprenant ?
Moins qu'il n'y paraît. Cette hypothèse est basée sur des travaux qui montrent que les lymphocytes actifs dans le processus de la sclérose en plaques, en franchissant la barrière hémato-encéphalée, s'appuient sur les récepteurs de l'angiotensine. Or, le lisinopril est un inhibiteur de l'enzyme de conversion, qui bloque la production d'angiotensine. En la bloquant, on peut arrêter la rupture de la barrière et, théoriquement et sur modèle animal, bloquer cette rupture. Mais le plus étonnant n'est pas là : il se situe dans le fait que le même médicament semble faire proliférer les lymphocytes T régulateurs (T-reg), des agents essentiels de l'immunité humaine. Leur présence en grand nombre permet de tirer la réaction inflammatoire vers le bas. Ce sont, si vous voulez, les pompiers de l'immunité. Le médicament aurait donc un double effet bénéfique.
Utiliserez-vous bientôt ce type de médicament ?
Si j'en donne demain à mes patients, je vais seulement leur provoquer une chute de tension. Mais cette étude semble suffisamment robuste pour que des tests humains soient rapidement développés. On pourrait même faire l'économie du stade 1, ce médicament ayant déjà été pris par des millions de patients. Reste à trouver la bonne dose pour l'effet recherché. Puis à pratiquer une étude placebo sur des milliers de patients. Ce sera d'ailleurs délicat, car la preuve de l'action bénéfique de ce produit semble déjà si nette que l'on voit mal comment on pourrait longtemps en priver une partie des patients, si son effet est confirmé chez l'humain.
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