Peter Rothwell est un neurologue d'Oxford qui s'est beaucoup
consacré à la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux
(AVC). Ses travaux l'ont conduit tout naturellement à s'intéresser
(et à participer) aux essais cliniques portant sur le rôle de
l'aspirine dans la prévention cardiovasculaire primaire et
secondaire. En prenant connaissance de certains travaux menés chez
l'animal et de certaines études observationnelles laissant penser
que l'aspirine pourrait avoir un effet favorable sur la survenue de
cancers, Rothwell a eu l'idée lumineuse de vérifier, à partir des
données des grands essais randomisés conduits avec l'aspirine, si
la mortalité par cancer était réduite chez les patients prenant le
traitement actif. Ceci a été confirmé par plusieurs
méta-analyses réalisées par son équipe. Elles ont permis de
montrer que, tout au moins dans une population à haut risque
vasculaire, l'aspirine à faible dose réduisait de 24 % le
risque de cancer colorectal après 20 ans de suivi et que la
mortalité par cancer (toutes localisations confondues) était
réduite de 21 % pendant la durée des essais. La baisse de la
mortalité néoplasique ne paraissait concerner que les
adénocarcinomes tout particulièrement dans les localisations
gastro-intestinales (œsophage [-58 %] colon et rectum [-40 %]) ou
le poumon (- 45 % à 20 ans).
En poursuivant ses travaux sur les mêmes données, Rothwell et
coll. ont constaté qu'une réduction de la mortalité s'observait
déjà deux à trois ans après le début du traitement ce qui semblait
trop court pour être expliqué par une action ne portant que sur la
carcinogénèse ou sur la croissance tumorale. Ils ont alors émis
l'hypothèse que l'effet favorable de l'aspirine pourrait, en
partie, être médié par une réduction de la dissémination
métastatique ou de la croissance des métastases ce que des travaux
expérimentaux et des études observationnelles avaient déjà
suggéré.
Une réduction de 40 % des métastases d'adénocarcinomes
Pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, Rothwell et coll.
ont donc repris les données de 5 études randomisées de prévention
cardiovasculaire par l'aspirine (plus de 75 mg/jour) conduites en
Grande Bretagne. Sur 17 285 participants suivis durant 6,5 ans en
moyenne 987 cancers solides ont été diagnostiqués. Parmi ces
patients atteints de cancers solides le risque de métastases (lors
du diagnostic ou du suivi) est apparu globalement réduit sous
aspirine de 27 % (intervalle de confiance à 95 % [IC95] entre - 11
et - 40 %; p=0,002). Cette diminution du risque de métastase
n'était là encore significative que pour les adénocarcinomes (- 40
%; IC95 entre - 22 et - 54 %: p=0,0001) tandis qu'aucune réduction
n'était constatée pour les autres types histologiques. L'effet
favorable de l'aspirine sur la survenue de métastases
d'adénocarcinome était particulièrement net lors du suivi du
patient (- 55 %) et chez les patients ayant un cancer colorectal
(-74 %). Globalement sur les 6,5 ans de suivi, la mortalité
par adénocarcinome a été réduite de 35 % (p=0,0002).
Effet sur la carcinogènèse et sur la dissémination
métastatique
Il semble donc que, pour la première fois, ait été démontré que
l'aspirine, à côté de ses effets préventifs sur la survenue
d'adénocarcinomes qui s'observent sur le long terme, a également, à
court terme, une action anti-métastatique. L'effet sur l'incidence
des adénocarcinomes serait médié par une inhibition de la
carcinogénèse tandis que l'effet anti-métastatique serait lui en
rapport avec l'action anti-agrégante de l'aspirine (en réduisant la
migration des cellules malignes ou en ralentissant la croissance de
micro-métastases). Mais il ne s'agit là que d'hypothèses.
Avant d'envisager les conséquences possibles de ce travail il
convient bien sûr d'en rappeler certaines limites :
- aucune des études inclues dans la méta-analyse n'avait pour
objectif d'évaluer un effet anti-néoplasique ;
- les patients à haut risque cardiovasculaire concernés par ces
essais ne sont pas représentatif de la population générale;
- on ne disposait pas de données fiables sur la survenue de
métastases chez 21 % des patients ayant eu un cancer;
- ces résultats positifs sont en contradiction apparente avec ceux
de la Women's Health Study et de la Physicians' Health Study qui
n'ont pas retrouvé, après 10 à 12 ans de suivi, de diminution du
risque de néoplasie et de la mortalité par cancer avec la prise
d'aspirine un jour sur deux (ce qui pourrait s'expliquer selon
Rothwell par des effets biologiques différents si le
médicament n'est pas pris quotidiennement).
Prescrire de l'aspirine aux adénocarcinomes ?
Ces réserves étant faites de nombreuses questions se posent
après les travaux de Rothwell.
1) Peut-on envisager une prescription d'aspirine avec pour seule
indication la prévention des adénocarcinomes et ce malgré les
résultats négatifs de la WHS et de la PHS ? Il est improbable que
nous disposions des résultats d'un essai randomisé directement
conçu pour répondre à cette question dans un avenir prévisible et
la décision des cliniciens ne pourra s'appuyer que sur un consensus
d'experts.
2) Peut-on, par ailleurs, envisager la prescription d'aspirine à
petites doses chez les sujets chez lesquels un adénocarcinome a été
diagnostiqué afin de réduire leur risque métastatique ? Deux essais
randomisés sont actuellement conduits sur ce thème. Dans l'attente
de leur résultats, pour Rothwell, il ne parait plus
légitime d'arrêter une prescription d'aspirine à visée
cardiovasculaire lors de la découverte d'un adénocarcinome comme
cela est très souvent fait en clinique.
3) Enfin, un traitement antiagrégant plus puissant, associant
deux molécules (comme pour la prévention des thromboses sur stent),
pourrait-il avoir des effets plus favorable encore sur le risque
métastatique ? Gageons que Peter Rothwell a envisagé la faisabilité
d'une nouvelle méta-analyse sur ce point.
Il reste à saluer une nouvelle fois l'intuition et l'opiniâtreté
de ce neurologue qui, bien loin de sa spécialité, va
peut-être bouleverser la prévention et la prise en charge de
certains cancers très fréquents.
Dr Anastasia Roublev
Rothwell P et coll. Effect of aspirin on risk of cancer metastasis
: a study of incident cancers during randomised controlled trials.
Lancet 2012; publication avancée en ligne le 21 mars 2012
(DOI:10.1016/S0140-6736[12]60209-.
consacré à la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux
(AVC). Ses travaux l'ont conduit tout naturellement à s'intéresser
(et à participer) aux essais cliniques portant sur le rôle de
l'aspirine dans la prévention cardiovasculaire primaire et
secondaire. En prenant connaissance de certains travaux menés chez
l'animal et de certaines études observationnelles laissant penser
que l'aspirine pourrait avoir un effet favorable sur la survenue de
cancers, Rothwell a eu l'idée lumineuse de vérifier, à partir des
données des grands essais randomisés conduits avec l'aspirine, si
la mortalité par cancer était réduite chez les patients prenant le
traitement actif. Ceci a été confirmé par plusieurs
méta-analyses réalisées par son équipe. Elles ont permis de
montrer que, tout au moins dans une population à haut risque
vasculaire, l'aspirine à faible dose réduisait de 24 % le
risque de cancer colorectal après 20 ans de suivi et que la
mortalité par cancer (toutes localisations confondues) était
réduite de 21 % pendant la durée des essais. La baisse de la
mortalité néoplasique ne paraissait concerner que les
adénocarcinomes tout particulièrement dans les localisations
gastro-intestinales (œsophage [-58 %] colon et rectum [-40 %]) ou
le poumon (- 45 % à 20 ans).
En poursuivant ses travaux sur les mêmes données, Rothwell et
coll. ont constaté qu'une réduction de la mortalité s'observait
déjà deux à trois ans après le début du traitement ce qui semblait
trop court pour être expliqué par une action ne portant que sur la
carcinogénèse ou sur la croissance tumorale. Ils ont alors émis
l'hypothèse que l'effet favorable de l'aspirine pourrait, en
partie, être médié par une réduction de la dissémination
métastatique ou de la croissance des métastases ce que des travaux
expérimentaux et des études observationnelles avaient déjà
suggéré.
Une réduction de 40 % des métastases d'adénocarcinomes
Pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, Rothwell et coll.
ont donc repris les données de 5 études randomisées de prévention
cardiovasculaire par l'aspirine (plus de 75 mg/jour) conduites en
Grande Bretagne. Sur 17 285 participants suivis durant 6,5 ans en
moyenne 987 cancers solides ont été diagnostiqués. Parmi ces
patients atteints de cancers solides le risque de métastases (lors
du diagnostic ou du suivi) est apparu globalement réduit sous
aspirine de 27 % (intervalle de confiance à 95 % [IC95] entre - 11
et - 40 %; p=0,002). Cette diminution du risque de métastase
n'était là encore significative que pour les adénocarcinomes (- 40
%; IC95 entre - 22 et - 54 %: p=0,0001) tandis qu'aucune réduction
n'était constatée pour les autres types histologiques. L'effet
favorable de l'aspirine sur la survenue de métastases
d'adénocarcinome était particulièrement net lors du suivi du
patient (- 55 %) et chez les patients ayant un cancer colorectal
(-74 %). Globalement sur les 6,5 ans de suivi, la mortalité
par adénocarcinome a été réduite de 35 % (p=0,0002).
Effet sur la carcinogènèse et sur la dissémination
métastatique
Il semble donc que, pour la première fois, ait été démontré que
l'aspirine, à côté de ses effets préventifs sur la survenue
d'adénocarcinomes qui s'observent sur le long terme, a également, à
court terme, une action anti-métastatique. L'effet sur l'incidence
des adénocarcinomes serait médié par une inhibition de la
carcinogénèse tandis que l'effet anti-métastatique serait lui en
rapport avec l'action anti-agrégante de l'aspirine (en réduisant la
migration des cellules malignes ou en ralentissant la croissance de
micro-métastases). Mais il ne s'agit là que d'hypothèses.
Avant d'envisager les conséquences possibles de ce travail il
convient bien sûr d'en rappeler certaines limites :
- aucune des études inclues dans la méta-analyse n'avait pour
objectif d'évaluer un effet anti-néoplasique ;
- les patients à haut risque cardiovasculaire concernés par ces
essais ne sont pas représentatif de la population générale;
- on ne disposait pas de données fiables sur la survenue de
métastases chez 21 % des patients ayant eu un cancer;
- ces résultats positifs sont en contradiction apparente avec ceux
de la Women's Health Study et de la Physicians' Health Study qui
n'ont pas retrouvé, après 10 à 12 ans de suivi, de diminution du
risque de néoplasie et de la mortalité par cancer avec la prise
d'aspirine un jour sur deux (ce qui pourrait s'expliquer selon
Rothwell par des effets biologiques différents si le
médicament n'est pas pris quotidiennement).
Prescrire de l'aspirine aux adénocarcinomes ?
Ces réserves étant faites de nombreuses questions se posent
après les travaux de Rothwell.
1) Peut-on envisager une prescription d'aspirine avec pour seule
indication la prévention des adénocarcinomes et ce malgré les
résultats négatifs de la WHS et de la PHS ? Il est improbable que
nous disposions des résultats d'un essai randomisé directement
conçu pour répondre à cette question dans un avenir prévisible et
la décision des cliniciens ne pourra s'appuyer que sur un consensus
d'experts.
2) Peut-on, par ailleurs, envisager la prescription d'aspirine à
petites doses chez les sujets chez lesquels un adénocarcinome a été
diagnostiqué afin de réduire leur risque métastatique ? Deux essais
randomisés sont actuellement conduits sur ce thème. Dans l'attente
de leur résultats, pour Rothwell, il ne parait plus
légitime d'arrêter une prescription d'aspirine à visée
cardiovasculaire lors de la découverte d'un adénocarcinome comme
cela est très souvent fait en clinique.
3) Enfin, un traitement antiagrégant plus puissant, associant
deux molécules (comme pour la prévention des thromboses sur stent),
pourrait-il avoir des effets plus favorable encore sur le risque
métastatique ? Gageons que Peter Rothwell a envisagé la faisabilité
d'une nouvelle méta-analyse sur ce point.
Il reste à saluer une nouvelle fois l'intuition et l'opiniâtreté
de ce neurologue qui, bien loin de sa spécialité, va
peut-être bouleverser la prévention et la prise en charge de
certains cancers très fréquents.
Dr Anastasia Roublev
Rothwell P et coll. Effect of aspirin on risk of cancer metastasis
: a study of incident cancers during randomised controlled trials.
Lancet 2012; publication avancée en ligne le 21 mars 2012
(DOI:10.1016/S0140-6736[12]60209-.
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