Ce n’est qu’une petite crise passagère"
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- 20 déc 2013
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L'HISTOIRE
Un homme d’une quarantaine d’année ressent, lors de son dîner, de vives céphalées dont il est malheureusement coutumier. Son épouse lui prépare deux comprimés de 500 mg d'un analgésique antipyrétique qui, habituellement, le calment.
Mais, cette fois-ci, le mal ne fait qu’empirer et, vers 23h, les douleurs sont à leur comble, le patient disant se sentir"mourir" tellement il a mal. Son épouse, inquiète, téléphone au centre 15, et attend au moins 15 minutes pour être prise en charge par le permanencier à qui elle explique la situation. Celui-ci lui indique que les appels sont très nombreux, et qu’elle aurait pu se dispenser de téléphoner pour de simples céphalées chroniques qui finiront bien par disparaitre en allongeant son mari dans le noir.
Mécontente, elle raccroche et informe son mari qu’elle n’a pas réussi à obtenir de l’aide. Celui-ci hurle désormais de douleur, ce qui provoque l’intervention des voisins qui conseillent de rappeler le 15 et de demander à parler au médecin régulateur. L’épouse rappelle donc, et c’est le même permanencier qui lui répond. Après négociations, il lui passe le médecin régulateur qui ne prend pas plus au sérieux ses propos. Il demande à parler à son mari ; elle lui indique qu’il n’est plus capable de prendre l’appel. Pensant à une crise de délirium, le médecin déclare : "ce n’est qu’une petite crise passagère", conseille à l’épouse de "le calmer avec une tisane", et de lui donner à nouveau un analgésique antipyrétique dans trois heures.
Le mari finit enfin par se calmer et s’endort. L’épouse, épuisée, part se reposer dans la chambre d’amis. Le lendemain, à 8h, elle tente en vain de le réveiller : il est décédé depuis plusieurs heures. Le médecin traitant se rend au domicile du couple pour le certificat de décès, et coche la case"obstacle médico-légal à l’inhumation" afin qu’une autopsie soit faite. Celle-ci révélera que le patient est mort d’une rupture d’anévrisme intracrânien.
Estimant qu’une intervention plus précoce aurait pu sauver son mari, l’épouse dépose une plainte pénale contre X pour homicide involontaire. Un juge d’instruction est nommé et diligente une enquête qui sera menée par les services de police. Ceux-ci entendent le permanencier et le régulateur, et demandent une impression papier du dossier informatique créé pour cette régulation, celui-ci se révélant très succinct. Devant la divergence des déclarations entre l’épouse et les deux professionnels mis en cause, l’officier de police en charge de cette enquête saisit la bande d’enregistrement de ces deux conversations, regrettant qu’elle ne lui ait pas été remise spontanément.
S’il s’agit d’une version encore différente, se situant entre celles des parties en présence, elle est plus proche de celle de l’épouse, au moins en ce qui concerne l’ambiance de ces deux entretiens et la déclaration concernant la crise passagère.
Le professeur d’anesthésie-réanimation, auquel l’expertise est confiée dans le cadre de cette instruction pénale, va mettre en lumière plusieurs manquements dans cette régulation :
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Sur la causalité entre ces fautes et le décès du patient, l’expert conclut qu’il est à peu près certain qu’une hospitalisation n’aurait pas permis d’éviter l’issue fatale, eu égard à son étiologie. Ceci a conduit au prononcé d’une ordonnance de non-lieu car les poursuites étaient fondées sur l’infraction d’homicide involontaire qui nécessite, pour être constituée, un lien de causalité direct et certain entre la faute et la mort.
LES CONSEILS PRATIQUES
Cette affaire pénale se termine bien pour les deux professionnels poursuivis car aucun appel n’a été déposé contre cette ordonnance. L’infraction visée est l’atteinte involontaire à la vie définie par l’article 221-6 du Code pénal qui prévoit que : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende". Comme il n'a pu être affirmé que le permanencier ou le régulateur avait causé la mort du mari de l’appelante, la poursuite n'a pas pu aboutir. Cela n’enlève rien aux fautes retenues contre eux, et qui doivent faire réfléchir aux pratiques, même si la régulation est un art très difficile…
Un autre fondement des poursuites aurait pu être l’infraction de non-assistance à personne en péril, réprimée par l’article 223-6 du Code pénal stipulant que : "Sera puni (de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours". Ici, il n’est pas nécessaire qu’il soit possible de sauver la personne ; c’est le comportement du prévenu face au péril qui est en cause. La situation de ces deux professionnels aurait alors été beaucoup plus délicate, en sachant que l’argument axé autour de l’absence de conscience de la gravité de la situation ne porte pas toujours, les magistrats répondant "qu’il faut savoir poser les bonnes questions".
Les dossiers de régulation sont très particuliers, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que la conversation est enregistrée et qu’il va ainsi être possible de juger ce qui s’est réellement passé. Elle va être décortiquée à la fois sur le plan humain et sur le plan médical. Sur ce dernier, il est difficile d’être totalement objectif puisque l’on apprécie le travail du régulateur en connaissant déjà la pathologie recherchée, et donc les questions qui auraient permis de la découvrir. Ces dossiers sont également particuliers car nous sommes en situation de crise, dans laquelle les appelants ne sont plus eux-mêmes et ne comprennent pas qu’il leur soit refusé l’envoi d’un véhicule du Samu. Enfin, parce que l’exercice de la médecine par téléphone est toujours apprécié avec rigueur par les juges, le praticien doit être encore plus prudent. Il faut donc, comme dans toutes les situations rencontrées par les médecins, mais peut-être encore plus, "éviter les mots de trop".[/font][/color]
Un homme d’une quarantaine d’année ressent, lors de son dîner, de vives céphalées dont il est malheureusement coutumier. Son épouse lui prépare deux comprimés de 500 mg d'un analgésique antipyrétique qui, habituellement, le calment.
Mais, cette fois-ci, le mal ne fait qu’empirer et, vers 23h, les douleurs sont à leur comble, le patient disant se sentir"mourir" tellement il a mal. Son épouse, inquiète, téléphone au centre 15, et attend au moins 15 minutes pour être prise en charge par le permanencier à qui elle explique la situation. Celui-ci lui indique que les appels sont très nombreux, et qu’elle aurait pu se dispenser de téléphoner pour de simples céphalées chroniques qui finiront bien par disparaitre en allongeant son mari dans le noir.
Mécontente, elle raccroche et informe son mari qu’elle n’a pas réussi à obtenir de l’aide. Celui-ci hurle désormais de douleur, ce qui provoque l’intervention des voisins qui conseillent de rappeler le 15 et de demander à parler au médecin régulateur. L’épouse rappelle donc, et c’est le même permanencier qui lui répond. Après négociations, il lui passe le médecin régulateur qui ne prend pas plus au sérieux ses propos. Il demande à parler à son mari ; elle lui indique qu’il n’est plus capable de prendre l’appel. Pensant à une crise de délirium, le médecin déclare : "ce n’est qu’une petite crise passagère", conseille à l’épouse de "le calmer avec une tisane", et de lui donner à nouveau un analgésique antipyrétique dans trois heures.
Le mari finit enfin par se calmer et s’endort. L’épouse, épuisée, part se reposer dans la chambre d’amis. Le lendemain, à 8h, elle tente en vain de le réveiller : il est décédé depuis plusieurs heures. Le médecin traitant se rend au domicile du couple pour le certificat de décès, et coche la case"obstacle médico-légal à l’inhumation" afin qu’une autopsie soit faite. Celle-ci révélera que le patient est mort d’une rupture d’anévrisme intracrânien.
Estimant qu’une intervention plus précoce aurait pu sauver son mari, l’épouse dépose une plainte pénale contre X pour homicide involontaire. Un juge d’instruction est nommé et diligente une enquête qui sera menée par les services de police. Ceux-ci entendent le permanencier et le régulateur, et demandent une impression papier du dossier informatique créé pour cette régulation, celui-ci se révélant très succinct. Devant la divergence des déclarations entre l’épouse et les deux professionnels mis en cause, l’officier de police en charge de cette enquête saisit la bande d’enregistrement de ces deux conversations, regrettant qu’elle ne lui ait pas été remise spontanément.
S’il s’agit d’une version encore différente, se situant entre celles des parties en présence, elle est plus proche de celle de l’épouse, au moins en ce qui concerne l’ambiance de ces deux entretiens et la déclaration concernant la crise passagère.
Le professeur d’anesthésie-réanimation, auquel l’expertise est confiée dans le cadre de cette instruction pénale, va mettre en lumière plusieurs manquements dans cette régulation :
- le fait que le permanencier, qui n’est pas un professionnel de santé, n’ait pas passé le premier appel au médecin régulateur ;
- le caractère approximatif et non scientifique de l’interrogatoire mené par le régulateur lors du deuxième appel ;
- enfin, ses propos trop rassurants alors que, selon l’expert, "il doit toujours envisager le pire"
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Sur la causalité entre ces fautes et le décès du patient, l’expert conclut qu’il est à peu près certain qu’une hospitalisation n’aurait pas permis d’éviter l’issue fatale, eu égard à son étiologie. Ceci a conduit au prononcé d’une ordonnance de non-lieu car les poursuites étaient fondées sur l’infraction d’homicide involontaire qui nécessite, pour être constituée, un lien de causalité direct et certain entre la faute et la mort.
LES CONSEILS PRATIQUES
Cette affaire pénale se termine bien pour les deux professionnels poursuivis car aucun appel n’a été déposé contre cette ordonnance. L’infraction visée est l’atteinte involontaire à la vie définie par l’article 221-6 du Code pénal qui prévoit que : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende". Comme il n'a pu être affirmé que le permanencier ou le régulateur avait causé la mort du mari de l’appelante, la poursuite n'a pas pu aboutir. Cela n’enlève rien aux fautes retenues contre eux, et qui doivent faire réfléchir aux pratiques, même si la régulation est un art très difficile…
Un autre fondement des poursuites aurait pu être l’infraction de non-assistance à personne en péril, réprimée par l’article 223-6 du Code pénal stipulant que : "Sera puni (de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours". Ici, il n’est pas nécessaire qu’il soit possible de sauver la personne ; c’est le comportement du prévenu face au péril qui est en cause. La situation de ces deux professionnels aurait alors été beaucoup plus délicate, en sachant que l’argument axé autour de l’absence de conscience de la gravité de la situation ne porte pas toujours, les magistrats répondant "qu’il faut savoir poser les bonnes questions".
Les dossiers de régulation sont très particuliers, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que la conversation est enregistrée et qu’il va ainsi être possible de juger ce qui s’est réellement passé. Elle va être décortiquée à la fois sur le plan humain et sur le plan médical. Sur ce dernier, il est difficile d’être totalement objectif puisque l’on apprécie le travail du régulateur en connaissant déjà la pathologie recherchée, et donc les questions qui auraient permis de la découvrir. Ces dossiers sont également particuliers car nous sommes en situation de crise, dans laquelle les appelants ne sont plus eux-mêmes et ne comprennent pas qu’il leur soit refusé l’envoi d’un véhicule du Samu. Enfin, parce que l’exercice de la médecine par téléphone est toujours apprécié avec rigueur par les juges, le praticien doit être encore plus prudent. Il faut donc, comme dans toutes les situations rencontrées par les médecins, mais peut-être encore plus, "éviter les mots de trop".[/font][/color]
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