Publié le 15/03/2010
Bien que l’hypertension artérielle (HTA) soit un facteur de
risque vasculaire identifié de très longue date et que de nombreux
essais cliniques aient démontré l’intérêt pronostique de son
traitement au long cours, il subsiste encore bien des inconnues sur
sa prise en charge en pratique courante. C’est ainsi par exemple
que l’on ignore toujours quelle attitude adopter face à une HTA
occasionnelle ou par quel mécanisme des antihypertenseurs ayant des
effets équivalents sur la PA peuvent avoir des résultats différents
en terme de morbidité-mortalité vasculaire.
Plusieurs publications dans le Lancet mettent en avant
un facteur clinique facilement accessible, mais souvent négligé,
qui pourrait avoir une grande importance pronostique, la
variabilité tensionnelle.
La PAS maximale, marqueur de risque
Peter M Rothwell et coll. d’Oxford, ont repris les données de
plusieurs études de cohortes concernant des patients suivis pour
accident ischémiques transitoires (AIT) et de l’essai ASCOT-BPLA
comparant deux protocoles thérapeutiques (à base d’amlodipine ou
d’aténolol) (1). Dans ce travail complexe ils ont pu montrer que,
chez les patients ayant souffert d’un AIT, la variabilité de la
pression artérielle systolique (PAS) évaluée par la comparaison des
chiffres obtenus lors de visites successives pour un même patient
était un facteur prédictif puissant de la survenue d’un accident
vasculaire cérébral (AVC), indépendant de la PAS moyenne. Ainsi
dans l’étude UK-TIA qui portait sur des patients ayant fait un AIT,
les sujets du décile ayant la plus grande variabilité tensionnelle
(après 7 mesures de la PA) avaient un risque (plus précisément un
hazard ratio ou HR) 6,22 fois plus élevé de présenter un AVC dans
les deux ans que les sujets du décile inférieur (p<0,0001). De
même, la PAS maximum atteinte lors des mesures successives est
apparue être également un facteur prédictif d’AVC avec un HR de
15,01 pour les sujets du décile supérieur par rapport à ceux du
décile inférieur après 7 mesures de la PA (p<0,0001 après
ajustement pour la PAS moyenne).
Chez des sujets traités pour leur HTA, dans ASCOT-BPLA, la
variabilité tensionnelle résiduelle entre les visites est également
apparue comme un facteur prédictif puissant d’AVC (HR=3,25 pour le
décile supérieur ; p<0,0001) ou d’accidents coronariens. De plus
ce marqueur de risque était indépendant de la PAS moyenne évaluée
lors des visites ou des mesures ambulatoires de la PA et son
influence pronostique paraissait bien supérieure à celle de la PAS
moyenne.
La prévention des AVC serait corrélée à l’action sur la
variabilité tensionnelle
Le même Rothwell d’Oxford, associé à d’autres auteurs, a
recherché par une revue générale et une méta-analyse de 389 essais
thérapeutiques (!) une corrélation entre le risque d’AVC et l’effet
des différents antihypertenseurs sur la variabilité tensionnelle ou
plus précisément la variance interindividuelle de la PAS (2). En
résumé, après un traitement sophistiqué des données, il est apparu
que cette variance était réduite significativement par les
antagonistes calciques et les diurétiques (en dehors de ceux
agissant sur l’anse de Henlé) et augmentée significativement par
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les sartans et les
bêta-bloqueurs. Ces actions différentes des classes
d’anti-hypertenseurs sur la variabilité tensionnelle se sont
avérées corrélées avec leurs effets différents sur le risque
d’AVC.
Ce phénomène pourrait (au moins partiellement) contribuer à
comprendre pourquoi les anticalciques ont une action rapide sur le
risque d’AVC comme dans l’essai VALUE ou par quels mécanisme les
bêta-bloqueurs ont un effet préventif plus limité que les autres
anti-hypertenseurs sur la survenue d’AVC (3).
Faudra-t-il mesurer la variabilité tensionnelle chez tous les
hypertendus ?
La variabilité tensionnelle était souvent considérée comme une
gêne au diagnostic d’HTA permanente. En cas d’HTA épisodique, les
recommandations sont en faveur d’une surveillance prolongée ou
d’une MAPA, la décision thérapeutique finale devant être prise sur
la PA moyenne (PAM) obtenue. Si, comme le suggère ces deux
analyses, la variabilité tensionnelle doit être considérée comme un
marqueur de risque en soi, notre attitude face à une HTA épisodique
devrait probablement être revue et les objectifs chiffrés du
traitement antihypertenseur « revisités » en s’attachant à la fois
à la PAM obtenue et à la variabilité tensionnelle.
On est pris de vertige en imaginant la complexité des nouvelles
recommandations qui devraient découler de l’application de ce
concept, si ces résultats étaient confirmés !
La remise au goût du jour de ce concept de variabilité
tensionnelle (en fait déjà évoqué dans les années 90) aura, si son
importance est confirmée, des répercussions majeures sur la prise
en charge de l’HTA en pratique courante et sur la méthodologie des
essais cliniques. Ainsi, l’évaluation de la variance tensionnelle
devrait être intégrée dans le bilan initial, tandis que les effets
du traitement sur ce paramètre devraient être suivis parallèlement
à ceux observés sur la PAM tant en pratique clinique qu’au cours
des essais cliniques.
Il serait également souhaitable de déterminer les mécanismes par
lesquels les variations tensionnelles pourraient contribuer au
risque vasculaire et si cette mesure de la variance tensionnelle
n’est pas qu’une façon indirecte d’évaluer la rigidité artérielle,
ce qui rendrait compte de son caractère prédictif de certaines
complications vasculaires de l’HTA (3).
Un très important travail rétrospectif est actuellement en cours
en Australie sur les données individuelles de plus de 200 000
participants inclus dans le programme BPLT (Blood Pressure
Lowering Treatment). Il devrait permettre de confirmer ou
d’infirmer les résultats de Rothwell et le cas échéant de préciser
les relations entre la variabilité tensionnelle et les autres
facteurs de risque vasculaires.
Dr Anastasia Roublev
1) Rothwell PM et coll. : Pronostic significance of visit-to-visit
variability, maximum systolic blood pressure, and episodic
hypertension. Lancet 2010; 375: 895-905.
2) Webb AJS et coll.:
Effects of antihypertensive-drug class on interindividual variation in
blood pressure and risk of stroke: a systemic review and meta-analysis.
Lancet 2010; 375: 906-15.
3) Carlberg B et coll.: Stroke and
blood-pressure variation: new permutations on an old theme. Lancet 2010;
375: 867-68.
Bien que l’hypertension artérielle (HTA) soit un facteur de
risque vasculaire identifié de très longue date et que de nombreux
essais cliniques aient démontré l’intérêt pronostique de son
traitement au long cours, il subsiste encore bien des inconnues sur
sa prise en charge en pratique courante. C’est ainsi par exemple
que l’on ignore toujours quelle attitude adopter face à une HTA
occasionnelle ou par quel mécanisme des antihypertenseurs ayant des
effets équivalents sur la PA peuvent avoir des résultats différents
en terme de morbidité-mortalité vasculaire.
Plusieurs publications dans le Lancet mettent en avant
un facteur clinique facilement accessible, mais souvent négligé,
qui pourrait avoir une grande importance pronostique, la
variabilité tensionnelle.
La PAS maximale, marqueur de risque
Peter M Rothwell et coll. d’Oxford, ont repris les données de
plusieurs études de cohortes concernant des patients suivis pour
accident ischémiques transitoires (AIT) et de l’essai ASCOT-BPLA
comparant deux protocoles thérapeutiques (à base d’amlodipine ou
d’aténolol) (1). Dans ce travail complexe ils ont pu montrer que,
chez les patients ayant souffert d’un AIT, la variabilité de la
pression artérielle systolique (PAS) évaluée par la comparaison des
chiffres obtenus lors de visites successives pour un même patient
était un facteur prédictif puissant de la survenue d’un accident
vasculaire cérébral (AVC), indépendant de la PAS moyenne. Ainsi
dans l’étude UK-TIA qui portait sur des patients ayant fait un AIT,
les sujets du décile ayant la plus grande variabilité tensionnelle
(après 7 mesures de la PA) avaient un risque (plus précisément un
hazard ratio ou HR) 6,22 fois plus élevé de présenter un AVC dans
les deux ans que les sujets du décile inférieur (p<0,0001). De
même, la PAS maximum atteinte lors des mesures successives est
apparue être également un facteur prédictif d’AVC avec un HR de
15,01 pour les sujets du décile supérieur par rapport à ceux du
décile inférieur après 7 mesures de la PA (p<0,0001 après
ajustement pour la PAS moyenne).
Chez des sujets traités pour leur HTA, dans ASCOT-BPLA, la
variabilité tensionnelle résiduelle entre les visites est également
apparue comme un facteur prédictif puissant d’AVC (HR=3,25 pour le
décile supérieur ; p<0,0001) ou d’accidents coronariens. De plus
ce marqueur de risque était indépendant de la PAS moyenne évaluée
lors des visites ou des mesures ambulatoires de la PA et son
influence pronostique paraissait bien supérieure à celle de la PAS
moyenne.
La prévention des AVC serait corrélée à l’action sur la
variabilité tensionnelle
Le même Rothwell d’Oxford, associé à d’autres auteurs, a
recherché par une revue générale et une méta-analyse de 389 essais
thérapeutiques (!) une corrélation entre le risque d’AVC et l’effet
des différents antihypertenseurs sur la variabilité tensionnelle ou
plus précisément la variance interindividuelle de la PAS (2). En
résumé, après un traitement sophistiqué des données, il est apparu
que cette variance était réduite significativement par les
antagonistes calciques et les diurétiques (en dehors de ceux
agissant sur l’anse de Henlé) et augmentée significativement par
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les sartans et les
bêta-bloqueurs. Ces actions différentes des classes
d’anti-hypertenseurs sur la variabilité tensionnelle se sont
avérées corrélées avec leurs effets différents sur le risque
d’AVC.
Ce phénomène pourrait (au moins partiellement) contribuer à
comprendre pourquoi les anticalciques ont une action rapide sur le
risque d’AVC comme dans l’essai VALUE ou par quels mécanisme les
bêta-bloqueurs ont un effet préventif plus limité que les autres
anti-hypertenseurs sur la survenue d’AVC (3).
Faudra-t-il mesurer la variabilité tensionnelle chez tous les
hypertendus ?
La variabilité tensionnelle était souvent considérée comme une
gêne au diagnostic d’HTA permanente. En cas d’HTA épisodique, les
recommandations sont en faveur d’une surveillance prolongée ou
d’une MAPA, la décision thérapeutique finale devant être prise sur
la PA moyenne (PAM) obtenue. Si, comme le suggère ces deux
analyses, la variabilité tensionnelle doit être considérée comme un
marqueur de risque en soi, notre attitude face à une HTA épisodique
devrait probablement être revue et les objectifs chiffrés du
traitement antihypertenseur « revisités » en s’attachant à la fois
à la PAM obtenue et à la variabilité tensionnelle.
On est pris de vertige en imaginant la complexité des nouvelles
recommandations qui devraient découler de l’application de ce
concept, si ces résultats étaient confirmés !
La remise au goût du jour de ce concept de variabilité
tensionnelle (en fait déjà évoqué dans les années 90) aura, si son
importance est confirmée, des répercussions majeures sur la prise
en charge de l’HTA en pratique courante et sur la méthodologie des
essais cliniques. Ainsi, l’évaluation de la variance tensionnelle
devrait être intégrée dans le bilan initial, tandis que les effets
du traitement sur ce paramètre devraient être suivis parallèlement
à ceux observés sur la PAM tant en pratique clinique qu’au cours
des essais cliniques.
Il serait également souhaitable de déterminer les mécanismes par
lesquels les variations tensionnelles pourraient contribuer au
risque vasculaire et si cette mesure de la variance tensionnelle
n’est pas qu’une façon indirecte d’évaluer la rigidité artérielle,
ce qui rendrait compte de son caractère prédictif de certaines
complications vasculaires de l’HTA (3).
Un très important travail rétrospectif est actuellement en cours
en Australie sur les données individuelles de plus de 200 000
participants inclus dans le programme BPLT (Blood Pressure
Lowering Treatment). Il devrait permettre de confirmer ou
d’infirmer les résultats de Rothwell et le cas échéant de préciser
les relations entre la variabilité tensionnelle et les autres
facteurs de risque vasculaires.
Dr Anastasia Roublev
1) Rothwell PM et coll. : Pronostic significance of visit-to-visit
variability, maximum systolic blood pressure, and episodic
hypertension. Lancet 2010; 375: 895-905.
2) Webb AJS et coll.:
Effects of antihypertensive-drug class on interindividual variation in
blood pressure and risk of stroke: a systemic review and meta-analysis.
Lancet 2010; 375: 906-15.
3) Carlberg B et coll.: Stroke and
blood-pressure variation: new permutations on an old theme. Lancet 2010;
375: 867-68.
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