j'entame avec vous la formation en matière de fractures ouvertes de jambe pour le résidanat
nous allons comprendre les mécanismes de l'infection osseuse, sujet qui a beaucoup changé et est mieux compris actuellement.
je vous prie de lire cet article sur les biofilms, tiré de la revue la recherche n°389
Cécile Klingler, Alain Filloux, Andrée
Lazdunski
4. Les biofilms, forteresses bactériennes
Solitaires, les bactéries ? Loin de là. Le plus souvent, elles vivent en communauté, formant sur les surfaces colonisées des biofilms extrêmement résistants. Problème : parmi ces
surfaces figurent cathéters, stimulateurs cardiaques et autres
implants...
Philadelphie, 1976 : au congrès de l'American Legion, 182 des 4 400 anciens combattants présents déclarent une pneumonie sévère. Vingt-neuf meurent. Les services américains de santé publique mettent en oeuvre desmoyens considérables pour identifier la source du problème. Il leur faut près d'un an pour isoler l'agent pathogène : une bactérie, alors baptisée
Legionella pneumophila.Elle a infecté les congressistes
via les conduits de climatisation. Car ces conduits, et plus encore les bacs d'eau qui assurent l'humidification de l'air, constituent pour elle un habitat de choix. Elle forme sur leurs parois des colonies très structurées, qui les tapissent. Quelques fragments s'en détachent parfois. Les bactéries passent alors dans l'air ambiant sous forme d'aérosols, et de là, dans les poumons.
Ces tapis bactériens portent un nom : ce sont des biofilms. Un nom et une notion inconnus en 1976. Certes, en 1943, le microbiologiste américain Claude Zobell avait montré que, dans un récipient empli de liquide, les bactéries colonisant les parois sont bien plus nombreuses que celles en suspension. Mais c'est William Costerton, actuel directeur du Center for Biofilm Engineering de l'université d'État du Montana, qui a d'abord proposé, puis défendu, et finalement popularisé, la notion
de « biofilm » au sein de la communauté des microbiologistes. Dans les années 1970, alors chercheur en postdoctorat à l'université de Calgary, au Canada, W. Costerton explore les communautés bactériennes qui peuplent les cours d'eau. Il constate que le nombre de bactéries attachées aux rochers dépasse d'un facteur 1 000 à 10 000 celui des bactéries flottant dans l'eau. En 1978, dans un article devenu classique[1]
, il définit un biofilm comme une communauté de bactéries agrégées en microcolonies, enrobées dans une gangue qu'elles ont sécrétée, et adhérant sur une surface inerte ou biologique. Dès cette époque, il met en garde la communauté scientifique : les biofilms représentent le mode de vie normal des bactéries. Autrement dit, étudier ces dernières sous forme libre - forme dite planctonique - signifie qu'on laisse de côté un pan énorme de la physiologie bactérienne. C'est pourtant cette approche qui restera majoritaire jusqu'à la fin des années 1990.
Biofilm sur pacemaker
D'un point de vue écologique, le biofilm est incontestablement le
mode de vie le plus adapté à la colonisation d'environnements divers, y compris extrêmes : les spectaculaires biofilms des sources chaudes du parc de Yellowstone en témoignent. Dans nos habitations, les biofilms qui colonisent les canalisations trahissent leur présence par le biais d'odeurs nauséabondes. Notre corps, également, leur est propice : la flore buccale forme un biofilm, d'où la plaque dentaire source de caries. Ce dernier exemple illustre la nocivité qu'ont parfois les biofilms sur notre santé. Mais ce n'est rien au regard de leur capacité à
proliférer sur divers instruments médicaux ! Sondes urinaires,
cathéters veineux, tubes de ventilation artificielle, valves et
stimulateurs cardiaques, prothèses orthopédiques... : la liste est
longue. Si le rôle des biofilms dans les maladies infectieuses n'a été admis que récemment, il ne fait aujourd'hui aucun doute qu'ils jouent un rôle majeur dans les infections nosocomiales.
La capacité d'un biofilm à se développer sur un implant médical fut pour la première fois démontrée en 1982 [2]
. Un homme de 56 ans fut admis au Victoria General Hospital de
Halifax, au Canada, souffrant depuis quatre jours de nausées, de
vomissements et de violents frissons. Des prélèvements sanguins révélèrent la présence de Staphylococcus aureus.
Le patient fut traité par antibiotiques pendant quatre semaines,
puis quitta l'hôpital. Une semaine après, les mêmes symptômes se déclarèrent. Là encore,Staphylococcus aureus
fut détecté, et le patient, traité. Il partit... et revint, à
nouveau malade ! On lui enleva alors son pacemaker : dès lors, il demeura en bonne santé. Des prélèvements effectués sur le câble du stimulateur cardiaque mirent en évidence la présence de Staphylococcus aureus
, et l'examen par microscopie électronique montra l'accumulation
localisée de bactéries : un biofilm !
Pathogènes opportunistes
Bien que cette infection n'ait pas été contractée à l'hôpital, mais
par une blessure au coude, elle reflète bien le type de problèmes
rencontrés après un geste opératoire invasif. Les organismes le plus souvent associés à ce type d'infections sont les staphylocoquesStaphylococcus epidermidis et Staphylococcus aureus, suivis par Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa. Ces bactéries ne sont pas forcément pathogènes. Un individu peut héberger Staphylococcus epidermidis et Staphylococcus aureus sur sa peau, ou Pseudomonas aeruginosa sur sa muqueuse oropharyngée, sans que cela prête à conséquence. Ce sont les circonstances - un hôte affaibli par une intervention médicale invasive, une chimiothérapie ou un état immuno-déprimé - qui font basculer ces bactéries dans le camp des agents infectieux (on parle alors de pathogènes opportunistes). Ainsi la pose d'un stimulateur cardiaque peut provoquer une endocardite à staphylocoque, un tube de
ventilation artificielle ouvre le chemin des poumons à Pseudomonas aeruginosa, tandis qu'une sonde urinaire offre à
Escherichia colila possibilité de passer de l'urètre à la vessie.
Plus l'acte invasif se prolonge, plus le risque de contracter une
infection est important. Qui plus est, cette infection peut devenir
chronique et durer des mois, des années, voire toute une vie. En effet, le biofilm que forment les pathogènes opportunistes est extrêmement résistant aux systèmes de défense de l'hôte et à l'antibiothérapie. Bien plus que ne le sont des bactéries libres ! En étudiant une souche de Klebsiella pneumoniae
dépourvue de tout gène de résistance à l'ampicilline, Philip
Stewart, du Center for Biofilm Engineering, a bien montré l'étendue de la différence : alors qu'une concentration de 5 000 microgrammes par millilitre d'ampicilline pendant quatre heures éradique les bactéries planctoniques, il y a encore 66 % de survivants dans le biofilm [3]
.
Représentation tridimensionnelle
Dans les années 1980, on a d'abord supposé que le biofilm
constituait une barrière physique empêchant la diffusion des
antibiotiques. Mais, en 1994, Gill Geesey et ses collaborateurs du Center for Biofilm Engineering ont montré que les antibiotiques peuvent atteindre les profondeurs d'un biofilm de 500 micromètres d'épaisseur en90 secondes[4]
. Dès lors, comment expliquer la tolérance des biofilms aux
antibiotiques ? L'étude de la structure et de la physiologie du biofilm a permis de formuler quelques hypothèses.
C'est à Soren Molin à et ses collègues de l'université technique
danoise, à Lingby, que l'on doit la première représentation
tridimensionnelle de la structure d'un biofilm [5]
. Par microscopie confocale, ils ont montré, en 1996, que les
biofilms ne sont pas de simples paquets de bactéries engluées dans des molécules de polysaccharides et collant aux surfaces. Ce sont, au contraire, des systèmes très sophistiqués, tant sur le plan structural que fonctionnel. La matrice de polysaccharides, qui constitue parfois jusqu'à 85 % du volume du biofilm, englobe des tours bactériennes en forme de champignon. Celles-ci sont séparées par des canaux aqueux qui facilitent la circulation des nutriments. Toutefois, les conditions environnementales varient beaucoup au sein du biofilm : nutriments et
oxygène sont en grande partie consommés dans les couches supérieures, alors que les régions profondes sont, elles, peu oxygénées. Autrement dit, un biofilm comprend plusieurs niches fonctionnelles.
En écologie microbienne, il est bien admis que la survie d'une
communauté est d'autant mieux assurée que sa diversité intrinsèque est importante. Or, c'est le cas dans un biofilm. De récents travaux montrent que la bactériePseudomonas aeruginosa subit une diversification génétique intense quand elle pousse en biofilm, et que la capacité de ce dernier à résister à un stress environnemental s'en trouve augmentée[6]
. On imagine bien volontiers qu'un tel mécanisme permette de
résister au stress d'une antibiothérapie. Autre exemple : un large
spectre de phénotypes différents a été observé dans des biofilms obtenus en laboratoire à partir d'une souche unique de
Pseudomonas aeruginosa
. Certaines bactéries croissent très rapidement, d'autres ont un
métabolisme très ralenti. Celles-là seront donc à l'abri d'un
antibiotique tel que la pénicilline, qui agit exclusivement sur les
bactéries en phase de multiplication en empêchant la synthèse de la paroi bactérienne.
Des gènes appropriés
Ce n'est pas tout. Certains gènes, non exprimés lorsque la bactérie est à l'état planctonique, le deviennent lorsqu'elle forme un biofilm. En 2001, Paul Greenberg et ses collaborateurs de l'université de l'Iowa ont comparé l'expression des ARN de
Pseudomonas aeruginosa selon qu'elle était cultivée sous forme planctonique ou en biofilm [7]
. Ils ont alors constaté, entre autres, la plus forte expression
d'un gène nommé tolA Comme l'une des fonctions de la protéine qu'il code est de maintenir l'intégrité de l'enveloppe bactérienne, sa surexpression pourrait contribuer à renforcer l'imperméabilité de cette enveloppe, et donc à augmenter la résistance aux antibiotiques.
Enfin, les bactéries présentes dans un biofilm sont bien évidemment susceptibles de développer des mécanismes classiques de résistance aux antibiotiques, que ce soit par sélection d'une mutation spontanée, ou par échange de matériel génétique entre bactéries (voir le schéma « Comment une bactérie devient résistante », À cet égard, il semble d'ailleurs, comme l'a récemment montré Jean-Marc Ghigo, de l'Institut Pasteur, que ces transferts soient beaucoup plus fréquents au
sein d'un biofilm qu'entre bactéries planctoniques[8]
Il est donc peu probable que l'on puisse un jour vaincre les
biofilms par antibiothérapie classique, et l'on se heurte ici aux
limites des recherches engagées depuis des décennies sur les bactéries planctoniques. Il s'agit maintenant de définir de nouveaux produits antibiotiques efficaces sur les cellules en biofilm. En la matière, les démarches engagées reposent sur l'avancée des connaissances relatives à la formation des biofilms, à leur maturation et à leur dissémination.
En résumé (voir schéma, p. 42), la formation d'un biofilm implique en tout premier lieu l'adhésion de bactéries à un support donné. Cette adhésion, d'abord transitoire et réversible, devient ensuite forte et irréversible. Les bactéries s'agrègent alors en microcolonies, et la croissance et la maturation du biofilm s'engagent. Une fois le biofilm formé, certaines cellules ou paquets de cellules s'en détachent, et peuvent aller coloniser d'autres sites.
Si l'étude morphologique du développement d'un biofilm a été
entreprise dès le début des années 1980, l'identification des mécanismes moléculaires sous-jacents n'a commencé qu'en 1998. Roberto Kolter, de la Harvard Medical School, et son collègue George O'Toole, de la Dartmouth Medical School, dans le New Hampshire, ont mis en place des cribles génétiques à haut débit permettant d'identifier les gènes impliqués[9]
. Une ère nouvelle s'est alors ouverte, où la dissection génétique
et la caractérisation moléculaire du développement des biofilms se sont accélérées.
Aujourd'hui, ces études montrent qu'il est très difficile de dégager un schéma commun aux différentes bactéries étudiées. Aucun ensemble de gènes commun aux différents organismes modèles n'a pu être défini [10]
. Sur le plan physiologique, il y a toutefois certaines similitudes :
les premières étapes de formation du biofilm nécessitent en général la présence d'appendices extracellulaires, qui servent à la mobilité et à l'adhérence des bactéries et diffèrent selon le stade considéré. Ainsi, chez Pseudomonas aeruginosa,un flagelle permet le déplacement vers la surface. D'autres
appendices, des « pili », sorte de poils, sont alors nécessaires pour que les premières bactéries colonisatrices se rassemblent et forment des microcolonies. Et pour que l'attachement soit irréversible, il est nécessaire que la bactérie ait d'autres pili tout aussi particuliers. Une fois établies à la surface, les bactéries vont activement synthétiser des molécules polysaccharidiques, de nature variable selon les espèces et les conditions de l'environnement. Ces molécules, qui constituent la matrice extracellulaire, contribuent à la maturation et àla structuration du biofilm.
Sociologie des bactéries
Ces deux derniers phénomènes relèvent de processus complexes et, à ce jour, mal compris. Il semble en tout cas que l'expression de certains gènes varie selon que la bactérie est sous forme planctonique ou en biofilm, ce qui permet un ajustement des fonctions bactériennes en adéquation avec les conditions environnementales. Des résultats assez différents ont été obtenus selon les bactéries étudiées, et les techniques employées. Chez Escherichia coli,
38 % des gènes seraient concernés. Chez Pseudomonas aeruginosa, seulement 3,6 %[7]
. Parmi ces derniers, des gènes comme cupA fliC et pilA
, impliqués dans l'assemblage des appendices nécessaires aux
premières étapes de formation du biofilm, voient leur expression
diminuer lorsque le biofilm est bien structuré.
Une chose est sûre : la maturation et la structuration du biofilm
nécessitent une coordination poussée entre les bactéries qui le
composent. Peter Greenberg parle à cet égard de sociomicrobiologie. D'où peut bien venir cette coordination ? D'un mécanisme appelé quorum sensing.
Il s'agit d'un phénomène de communication intercellulaire qui met en jeu des molécules libérées dans le milieu par les bactéries, de nature différente selon les espèces. Leur concentration reflète la densité cellulaire dans un environnement donné. Lorsqu'elle atteint un seuil critique, elle déclenche l'expression de nombreux gènes cibles de manière coordonnée dans toute la population bactérienne.
La première détection du phénomène de quorum sensing
dans les biofilms date de 1998 [11]
. Les équipes de Barbara Iglewski et Peter Greenberg ont montré que des bactéries Pseudomonas aeruginosa
mutantes, incapables de produire et de libérer une molécule appelée acyl-homoserine lactone (AHL), ne peuvent former de microcolonies. Corollaire : le biofilm obtenu est plat. Bien qu'elle reste à préciser, la variation d'expression des gènes liée au
quorum sensingsemble donc cruciale pour l'architecture du biofilm.
Est-il possible de tirer parti de ces connaissances pour contrer les biofilms ? Il est encore trop tôt pour préjuger d'un éventuel succès, mais plusieurs voies sont envisageables. La première consiste à trouver de nouveaux matériaux abiotiques susceptibles d'être utilisés pour fabriquer des cathéters ou des prothèses. La démarche n'est pas sans risque : il y a cinq ans, la compagnie St. Jude Medical Inc. a dû rappeler les valves cardiaques qu'elle commercialisait. Leurs manchons
de fixation étaient recouverts d'un film à base d'argent appelé
Silzone, supposé diminuer les endocardites postopératoires dues au développement de biofilms. Hélas, les patients portant ce type de valves furent victimes de fuites au niveau du manchon, bien davantage que les patients portant une valve sans Silzone. L'examen ultérieur des manchons de fixation a révélé que Staphylococcus epidermidis adhérait davantage à ceux recouverts de Silzone qu'aux autres - le phénomène avait échappé aux scientifiques de la compagnie parce qu'ils
utilisaient un test optimisé pour les bactéries planctoniques [12]
.
Des substances antibiofilms
La deuxième voie consiste à agir au niveau de la bactérie. Lorsque les gènes nécessaires à la formation des biofilms seront identifiés, on peut espérer que certains d'entre eux, ou les protéines qu'ils codent, pourront constituer des cibles pour des substances « antibiofilms ». Par exemple, des molécules empêchant la synthèse des appendices cellulaires indispensables à la fixation au support, des molécules inhibant la
synthèse de la matrice, ou d'autres interférant avec la communication entre bactéries par quorum sensing.
Cette dernière approche a d'ailleurs suscité la création de
plusieurs entreprises de biotechnologies[13]
. Certaines tâchent d'identifier, dans des banques de molécules, des inhibiteurs des AHL, molécules clés du
quorum sensing. En s'inspirant parfois de phénomènes naturels de lutte antibiofilm ! Dans les années 1990, Peter Steinberg, de l'université du New South Wales, à Sydney, en Australie, avait remarqué que les massifs constitués par une algue nommée
Delisea pulchra restaient exempts de toute contamination par des biofilms bactériens. Après examen, il est apparu que les composés chimiques responsables de ce phénomène étaient des furanones, des molécules à la structure voisine de celle des homoserines lactones du quorum sensing,
avec lesquelles elles entrent en compétition. Avec son collègue
Staffan Kjelleberg, Steinberg a alors fondé une société, Biosignals. La compagnie, qui possède maintenant toute une collection de furanones, évalue actuellement leur efficacité.
Une troisième voie serait d'induire la dissolution du biofilm, les
bactéries isolées étant ensuite éradiquées par antibiothérapie
classique. Dans cette optique, l'identification des molécules impliquées dans le détachement des bactéries et leur retour à la vie planctonique constituerait une avancée significative, mais ces mécanismes restent pour l'instant peu étudiés.
Concluons sur un scénario futuriste, signé Costerton [14]
: il s'agirait de développer de petits récepteurs-réservoirs à
implanter chez l'homme. Capables de détecter des quantités seuils de molécules impliquées dans le quorum sensing
, ces réservoirs libéreraient alors des substances antibiofilms...
[1]Cécile Klingler, Alain Filloux, Andrée Lazdunski J.W. Costerton et al., Sci. Amer., 238, 86, 1978.
[2] T.J. Marrie et al., Circulation, 66, 1339, 1982.
[3]J. N. Anderl et al., Antimicrob. Agents Chemother., 44,
1818, 2000.
[4]P. A. Suci et al., Antimicrob. Agents Chemother., 38,
2125, 1994.
[5]S. Moller et al., Appl. Environ. Microbiol., 62
, 4632, 1996.
[6] B.R. Boles et al. PNAS, 101, 16630, 2004.
[7] M. Whiteley et al., Nature, 45,
1761, 2001.
[8] J.-M. Ghigo, Nature, 412 , 442, 2001.
[9] G.A. O'Toole et R. Kolter,Mol. Microbiol., 28, 449, 1998.
[10] C. Beloin et J.-M. Ghigo, Trends Microbiol., 13, 16, 2005.
[11]D.G. Davies et al., Science, 280 , 295, 1998.
[12] [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ; G. Cook et al., Int. J. Antimicrob. Agents, 13, 169, 2000.
[13] B. Schachter, Nature Biotechnology, 21, 361, 2003.
[14] G.D. Ehrlich et al., ASM News, 70 127, 2004.
et de lire cet extrait de l'EMC 2007
■ Microbiologie
Un os exposé s’infecte par communication entre l’extérieur et
le foyer de fracture, plus précisément entre la cavité médullaire
et l’extérieur, car un os exposé à l’air même dépériosté ne
s’infecte pas facilement. L’ostéite a été définie par la Société
française de pathologie infectieuse comme un « terme générique regroupant les infections osseuses traumatiques ou survenant après un geste chirurgical » [5] ; elle est dite aiguë si elle évolue depuis moins de 1 mois et chronique passé ce délai.
Généralités
La peau est le principal moyen de défense s’opposant à la
pénétration des germes saprophytes et pathogènes. Une lésion
cutanée associée à une nécrose des tissus mous adjacents
favorise la pénétration des bactéries, leur croissance et la
possibilité d’atteinte du tissu osseux sous-jacent. Les classifications pronostiques des fractures ouvertes, prenant en compte l’étendue de la lésion cutanée initiale et l’attrition des parties molles, reflètent le risque secondaire d’ostéite. Les bactéries ont deux origines : une contamination primaire exogène survenant immédiatement après la fracture, et une contamination secondaire tardive impliquant le plus fréquemment des germes sélectionnés par les pratiques thérapeutiques. De fait, il est illusoire de parler d’ostéites postchirurgicales vraies, car elles surviennent le plus souvent sur un terrain osseux altéré, déjà contaminé et impropre à sa défense. Ainsi, le taux d’infection des fractures ouvertes tous stades et toutes causes confondus reste important, variant selon les études de 13 % à 50 % [6].
Contamination immédiate primaire « exogène »
La contamination initiale de la plaie peut être considérée
comme une constante, et la présence de germes avant tout
traitement varie selon les études entre 60 % et 70 % [7-9].
Les germes le plus fréquemment en cause sont des germes
commensaux ou résidents provenant de la propre flore cutanée
du patient (staphylocoque coagulase négatif, Proprionibacterium
omnes, corynébactéries ...) ou des germes environnementaux
(telluriques, hydriques) tels que Bacillus, Clostridium, Clostridium
perfringens ... La présence de ces germes n’est pas synonyme
d’infection à long terme car le risque infectieux est corrélé à
l’atteinte des parties molles (une fracture de type 3 a 20 fois
plus de risque d’infection qu’une fracture de type 1 et 2) [7, 9].
Ces contaminations expliquent l’importance d’une antibiothérapie précoce dans la prise en charge des fractures ouvertes. Patzakis et al. [10] ont précisé le rôle de cette antibiothérapie ; le taux d’infection était de 13,9 % pour le groupe traité par placebo versus 2,3 % pour celui traité par une céphalosporine.
Contamination secondaire
La seconde source de contamination est liée aux germes
sélectionnés par les pratiques thérapeutiques. Ces germes sont
souvent résistants aux thérapeutiques usuelles et posent un
double problème de santé publique et de traitement de l’ostéite.
Mécanisme
Immédiatement après l’atteinte osseuse, les bactéries déclenchent une réaction inflammatoire qui se développe en souspériosté vers les parties molles et dans la cavité médullaire. Ces réactions s’accompagnent d’une augmentation du débit sanguin, d’un oedème inflammatoire, d’une compression des
capillaires et des sinusoïdes, phénomènes responsables au final
de thromboses veineuses et artériolaires générant des zones
d’infarcissement. Le développement d’un hématome amplifie
cette réaction en chaîne, par hyperpression et colonisation
microbienne précoce et massive. Secondairement se constituent des foyers de nécrose osseuse. Ces réactions se font très rapidement et l’expérience animale montre qu’en 72 heures une ostéomyélite aiguë staphylococcique peut, en l’absence de traitement antibiotique efficace, avoir constitué des séquestres, première étape du passage à la chronicité [11].
L’adhérence bactérienne permet la coalescence bactérienne
formant des microcolonies. Les bactéries de ces microcolonies
acquièrent des caractéristiques variants (VMC), c’est-à-dire
qu’elles modifient leurs caractéristiques métaboliques, augmentant leurs résistances à la phagocytose des polynucléaires et réduisant leur sensibilité à l’action bactériostatique. Ainsi, l’adhérence bactérienne modifie très rapidement le comportement bactérien vis-à-vis des antibiotiques et les VMC échappent en partie aux phénomènes immuns et phagocytaires [12].
En parallèle, la fixation bactérienne s’accompagne de la
formation d’une matrice de polysaccharides bioprotectrice, le
biofilm ou glycocalix. Cette matrice englobe des amas bactériens, séparés par des canaux aqueux qui permettent la circulation des nutriments. Ce conglomérat, contrairement à ce qui est généralement admis, ne constitue pas une barrière physique à la diffusion des antibiotiques [13], mais s’oppose à la pénétration des macrophages (Fig. 1) [14, 15]. De plus, les bactéries présentes dans le biofilm voient certaines de leurs propriétés modifiées [12] :
• elles échangent avec plus de facilité que les bactéries planctoniques
le matériel génétique favorisant la dégradation des
antibiotiques ;
• les bactéries qui sont situées dans les régions profondes sousoxygénées du biofilm ont un métabolisme ralenti, se protégeant ainsi des antibiotiques agissant en phase de multiplication bactérienne ;
• lorsque les bactéries sont en conglomérats, certains gènes
sont surexprimés, notamment ceux qui renforcent l’imperméabilité aux antibiotiques de l’enveloppe bactérienne.
Récemment, Bosse et al. ont montré que les bactéries pouvaient
survivre en étant protégées du système immunitaire dans
le cytoplasme des ostéoblastes ou des ostéocytes. Si elle se
confirme, cette découverte explique la grande difficulté du
traitement des ostéites chroniques .
Ainsi, toute infection non contrôlée immédiatement par une
thérapeutique efficace peut passer à la chronicité avec peu de
chances de guérison par une antibiothérapie habituelle. Le
traitement des ostéites n’est pas qu’un fait chirurgical et il ne
doit pas être dévolu uniquement aux orthopédistes ; la prise en
charge thérapeutique des infections osseuses doit être pluridisciplinaire et nécessite une étroite collaboration entre chirurgiens, bactériologistes et infectiologues.14-086-A-20 Fractures ouvertes de jambe app loc
nous allons comprendre les mécanismes de l'infection osseuse, sujet qui a beaucoup changé et est mieux compris actuellement.
je vous prie de lire cet article sur les biofilms, tiré de la revue la recherche n°389
Cécile Klingler, Alain Filloux, Andrée
Lazdunski
4. Les biofilms, forteresses bactériennes
Solitaires, les bactéries ? Loin de là. Le plus souvent, elles vivent en communauté, formant sur les surfaces colonisées des biofilms extrêmement résistants. Problème : parmi ces
surfaces figurent cathéters, stimulateurs cardiaques et autres
implants...
Philadelphie, 1976 : au congrès de l'American Legion, 182 des 4 400 anciens combattants présents déclarent une pneumonie sévère. Vingt-neuf meurent. Les services américains de santé publique mettent en oeuvre desmoyens considérables pour identifier la source du problème. Il leur faut près d'un an pour isoler l'agent pathogène : une bactérie, alors baptisée
Legionella pneumophila.Elle a infecté les congressistes
via les conduits de climatisation. Car ces conduits, et plus encore les bacs d'eau qui assurent l'humidification de l'air, constituent pour elle un habitat de choix. Elle forme sur leurs parois des colonies très structurées, qui les tapissent. Quelques fragments s'en détachent parfois. Les bactéries passent alors dans l'air ambiant sous forme d'aérosols, et de là, dans les poumons.
Ces tapis bactériens portent un nom : ce sont des biofilms. Un nom et une notion inconnus en 1976. Certes, en 1943, le microbiologiste américain Claude Zobell avait montré que, dans un récipient empli de liquide, les bactéries colonisant les parois sont bien plus nombreuses que celles en suspension. Mais c'est William Costerton, actuel directeur du Center for Biofilm Engineering de l'université d'État du Montana, qui a d'abord proposé, puis défendu, et finalement popularisé, la notion
de « biofilm » au sein de la communauté des microbiologistes. Dans les années 1970, alors chercheur en postdoctorat à l'université de Calgary, au Canada, W. Costerton explore les communautés bactériennes qui peuplent les cours d'eau. Il constate que le nombre de bactéries attachées aux rochers dépasse d'un facteur 1 000 à 10 000 celui des bactéries flottant dans l'eau. En 1978, dans un article devenu classique[1]
, il définit un biofilm comme une communauté de bactéries agrégées en microcolonies, enrobées dans une gangue qu'elles ont sécrétée, et adhérant sur une surface inerte ou biologique. Dès cette époque, il met en garde la communauté scientifique : les biofilms représentent le mode de vie normal des bactéries. Autrement dit, étudier ces dernières sous forme libre - forme dite planctonique - signifie qu'on laisse de côté un pan énorme de la physiologie bactérienne. C'est pourtant cette approche qui restera majoritaire jusqu'à la fin des années 1990.
Biofilm sur pacemaker
D'un point de vue écologique, le biofilm est incontestablement le
mode de vie le plus adapté à la colonisation d'environnements divers, y compris extrêmes : les spectaculaires biofilms des sources chaudes du parc de Yellowstone en témoignent. Dans nos habitations, les biofilms qui colonisent les canalisations trahissent leur présence par le biais d'odeurs nauséabondes. Notre corps, également, leur est propice : la flore buccale forme un biofilm, d'où la plaque dentaire source de caries. Ce dernier exemple illustre la nocivité qu'ont parfois les biofilms sur notre santé. Mais ce n'est rien au regard de leur capacité à
proliférer sur divers instruments médicaux ! Sondes urinaires,
cathéters veineux, tubes de ventilation artificielle, valves et
stimulateurs cardiaques, prothèses orthopédiques... : la liste est
longue. Si le rôle des biofilms dans les maladies infectieuses n'a été admis que récemment, il ne fait aujourd'hui aucun doute qu'ils jouent un rôle majeur dans les infections nosocomiales.
La capacité d'un biofilm à se développer sur un implant médical fut pour la première fois démontrée en 1982 [2]
. Un homme de 56 ans fut admis au Victoria General Hospital de
Halifax, au Canada, souffrant depuis quatre jours de nausées, de
vomissements et de violents frissons. Des prélèvements sanguins révélèrent la présence de Staphylococcus aureus.
Le patient fut traité par antibiotiques pendant quatre semaines,
puis quitta l'hôpital. Une semaine après, les mêmes symptômes se déclarèrent. Là encore,Staphylococcus aureus
fut détecté, et le patient, traité. Il partit... et revint, à
nouveau malade ! On lui enleva alors son pacemaker : dès lors, il demeura en bonne santé. Des prélèvements effectués sur le câble du stimulateur cardiaque mirent en évidence la présence de Staphylococcus aureus
, et l'examen par microscopie électronique montra l'accumulation
localisée de bactéries : un biofilm !
Pathogènes opportunistes
Bien que cette infection n'ait pas été contractée à l'hôpital, mais
par une blessure au coude, elle reflète bien le type de problèmes
rencontrés après un geste opératoire invasif. Les organismes le plus souvent associés à ce type d'infections sont les staphylocoquesStaphylococcus epidermidis et Staphylococcus aureus, suivis par Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa. Ces bactéries ne sont pas forcément pathogènes. Un individu peut héberger Staphylococcus epidermidis et Staphylococcus aureus sur sa peau, ou Pseudomonas aeruginosa sur sa muqueuse oropharyngée, sans que cela prête à conséquence. Ce sont les circonstances - un hôte affaibli par une intervention médicale invasive, une chimiothérapie ou un état immuno-déprimé - qui font basculer ces bactéries dans le camp des agents infectieux (on parle alors de pathogènes opportunistes). Ainsi la pose d'un stimulateur cardiaque peut provoquer une endocardite à staphylocoque, un tube de
ventilation artificielle ouvre le chemin des poumons à Pseudomonas aeruginosa, tandis qu'une sonde urinaire offre à
Escherichia colila possibilité de passer de l'urètre à la vessie.
Plus l'acte invasif se prolonge, plus le risque de contracter une
infection est important. Qui plus est, cette infection peut devenir
chronique et durer des mois, des années, voire toute une vie. En effet, le biofilm que forment les pathogènes opportunistes est extrêmement résistant aux systèmes de défense de l'hôte et à l'antibiothérapie. Bien plus que ne le sont des bactéries libres ! En étudiant une souche de Klebsiella pneumoniae
dépourvue de tout gène de résistance à l'ampicilline, Philip
Stewart, du Center for Biofilm Engineering, a bien montré l'étendue de la différence : alors qu'une concentration de 5 000 microgrammes par millilitre d'ampicilline pendant quatre heures éradique les bactéries planctoniques, il y a encore 66 % de survivants dans le biofilm [3]
.
Représentation tridimensionnelle
Dans les années 1980, on a d'abord supposé que le biofilm
constituait une barrière physique empêchant la diffusion des
antibiotiques. Mais, en 1994, Gill Geesey et ses collaborateurs du Center for Biofilm Engineering ont montré que les antibiotiques peuvent atteindre les profondeurs d'un biofilm de 500 micromètres d'épaisseur en90 secondes[4]
. Dès lors, comment expliquer la tolérance des biofilms aux
antibiotiques ? L'étude de la structure et de la physiologie du biofilm a permis de formuler quelques hypothèses.
C'est à Soren Molin à et ses collègues de l'université technique
danoise, à Lingby, que l'on doit la première représentation
tridimensionnelle de la structure d'un biofilm [5]
. Par microscopie confocale, ils ont montré, en 1996, que les
biofilms ne sont pas de simples paquets de bactéries engluées dans des molécules de polysaccharides et collant aux surfaces. Ce sont, au contraire, des systèmes très sophistiqués, tant sur le plan structural que fonctionnel. La matrice de polysaccharides, qui constitue parfois jusqu'à 85 % du volume du biofilm, englobe des tours bactériennes en forme de champignon. Celles-ci sont séparées par des canaux aqueux qui facilitent la circulation des nutriments. Toutefois, les conditions environnementales varient beaucoup au sein du biofilm : nutriments et
oxygène sont en grande partie consommés dans les couches supérieures, alors que les régions profondes sont, elles, peu oxygénées. Autrement dit, un biofilm comprend plusieurs niches fonctionnelles.
En écologie microbienne, il est bien admis que la survie d'une
communauté est d'autant mieux assurée que sa diversité intrinsèque est importante. Or, c'est le cas dans un biofilm. De récents travaux montrent que la bactériePseudomonas aeruginosa subit une diversification génétique intense quand elle pousse en biofilm, et que la capacité de ce dernier à résister à un stress environnemental s'en trouve augmentée[6]
. On imagine bien volontiers qu'un tel mécanisme permette de
résister au stress d'une antibiothérapie. Autre exemple : un large
spectre de phénotypes différents a été observé dans des biofilms obtenus en laboratoire à partir d'une souche unique de
Pseudomonas aeruginosa
. Certaines bactéries croissent très rapidement, d'autres ont un
métabolisme très ralenti. Celles-là seront donc à l'abri d'un
antibiotique tel que la pénicilline, qui agit exclusivement sur les
bactéries en phase de multiplication en empêchant la synthèse de la paroi bactérienne.
Des gènes appropriés
Ce n'est pas tout. Certains gènes, non exprimés lorsque la bactérie est à l'état planctonique, le deviennent lorsqu'elle forme un biofilm. En 2001, Paul Greenberg et ses collaborateurs de l'université de l'Iowa ont comparé l'expression des ARN de
Pseudomonas aeruginosa selon qu'elle était cultivée sous forme planctonique ou en biofilm [7]
. Ils ont alors constaté, entre autres, la plus forte expression
d'un gène nommé tolA Comme l'une des fonctions de la protéine qu'il code est de maintenir l'intégrité de l'enveloppe bactérienne, sa surexpression pourrait contribuer à renforcer l'imperméabilité de cette enveloppe, et donc à augmenter la résistance aux antibiotiques.
Enfin, les bactéries présentes dans un biofilm sont bien évidemment susceptibles de développer des mécanismes classiques de résistance aux antibiotiques, que ce soit par sélection d'une mutation spontanée, ou par échange de matériel génétique entre bactéries (voir le schéma « Comment une bactérie devient résistante », À cet égard, il semble d'ailleurs, comme l'a récemment montré Jean-Marc Ghigo, de l'Institut Pasteur, que ces transferts soient beaucoup plus fréquents au
sein d'un biofilm qu'entre bactéries planctoniques[8]
Il est donc peu probable que l'on puisse un jour vaincre les
biofilms par antibiothérapie classique, et l'on se heurte ici aux
limites des recherches engagées depuis des décennies sur les bactéries planctoniques. Il s'agit maintenant de définir de nouveaux produits antibiotiques efficaces sur les cellules en biofilm. En la matière, les démarches engagées reposent sur l'avancée des connaissances relatives à la formation des biofilms, à leur maturation et à leur dissémination.
En résumé (voir schéma, p. 42), la formation d'un biofilm implique en tout premier lieu l'adhésion de bactéries à un support donné. Cette adhésion, d'abord transitoire et réversible, devient ensuite forte et irréversible. Les bactéries s'agrègent alors en microcolonies, et la croissance et la maturation du biofilm s'engagent. Une fois le biofilm formé, certaines cellules ou paquets de cellules s'en détachent, et peuvent aller coloniser d'autres sites.
Si l'étude morphologique du développement d'un biofilm a été
entreprise dès le début des années 1980, l'identification des mécanismes moléculaires sous-jacents n'a commencé qu'en 1998. Roberto Kolter, de la Harvard Medical School, et son collègue George O'Toole, de la Dartmouth Medical School, dans le New Hampshire, ont mis en place des cribles génétiques à haut débit permettant d'identifier les gènes impliqués[9]
. Une ère nouvelle s'est alors ouverte, où la dissection génétique
et la caractérisation moléculaire du développement des biofilms se sont accélérées.
Aujourd'hui, ces études montrent qu'il est très difficile de dégager un schéma commun aux différentes bactéries étudiées. Aucun ensemble de gènes commun aux différents organismes modèles n'a pu être défini [10]
. Sur le plan physiologique, il y a toutefois certaines similitudes :
les premières étapes de formation du biofilm nécessitent en général la présence d'appendices extracellulaires, qui servent à la mobilité et à l'adhérence des bactéries et diffèrent selon le stade considéré. Ainsi, chez Pseudomonas aeruginosa,un flagelle permet le déplacement vers la surface. D'autres
appendices, des « pili », sorte de poils, sont alors nécessaires pour que les premières bactéries colonisatrices se rassemblent et forment des microcolonies. Et pour que l'attachement soit irréversible, il est nécessaire que la bactérie ait d'autres pili tout aussi particuliers. Une fois établies à la surface, les bactéries vont activement synthétiser des molécules polysaccharidiques, de nature variable selon les espèces et les conditions de l'environnement. Ces molécules, qui constituent la matrice extracellulaire, contribuent à la maturation et àla structuration du biofilm.
Sociologie des bactéries
Ces deux derniers phénomènes relèvent de processus complexes et, à ce jour, mal compris. Il semble en tout cas que l'expression de certains gènes varie selon que la bactérie est sous forme planctonique ou en biofilm, ce qui permet un ajustement des fonctions bactériennes en adéquation avec les conditions environnementales. Des résultats assez différents ont été obtenus selon les bactéries étudiées, et les techniques employées. Chez Escherichia coli,
38 % des gènes seraient concernés. Chez Pseudomonas aeruginosa, seulement 3,6 %[7]
. Parmi ces derniers, des gènes comme cupA fliC et pilA
, impliqués dans l'assemblage des appendices nécessaires aux
premières étapes de formation du biofilm, voient leur expression
diminuer lorsque le biofilm est bien structuré.
Une chose est sûre : la maturation et la structuration du biofilm
nécessitent une coordination poussée entre les bactéries qui le
composent. Peter Greenberg parle à cet égard de sociomicrobiologie. D'où peut bien venir cette coordination ? D'un mécanisme appelé quorum sensing.
Il s'agit d'un phénomène de communication intercellulaire qui met en jeu des molécules libérées dans le milieu par les bactéries, de nature différente selon les espèces. Leur concentration reflète la densité cellulaire dans un environnement donné. Lorsqu'elle atteint un seuil critique, elle déclenche l'expression de nombreux gènes cibles de manière coordonnée dans toute la population bactérienne.
La première détection du phénomène de quorum sensing
dans les biofilms date de 1998 [11]
. Les équipes de Barbara Iglewski et Peter Greenberg ont montré que des bactéries Pseudomonas aeruginosa
mutantes, incapables de produire et de libérer une molécule appelée acyl-homoserine lactone (AHL), ne peuvent former de microcolonies. Corollaire : le biofilm obtenu est plat. Bien qu'elle reste à préciser, la variation d'expression des gènes liée au
quorum sensingsemble donc cruciale pour l'architecture du biofilm.
Est-il possible de tirer parti de ces connaissances pour contrer les biofilms ? Il est encore trop tôt pour préjuger d'un éventuel succès, mais plusieurs voies sont envisageables. La première consiste à trouver de nouveaux matériaux abiotiques susceptibles d'être utilisés pour fabriquer des cathéters ou des prothèses. La démarche n'est pas sans risque : il y a cinq ans, la compagnie St. Jude Medical Inc. a dû rappeler les valves cardiaques qu'elle commercialisait. Leurs manchons
de fixation étaient recouverts d'un film à base d'argent appelé
Silzone, supposé diminuer les endocardites postopératoires dues au développement de biofilms. Hélas, les patients portant ce type de valves furent victimes de fuites au niveau du manchon, bien davantage que les patients portant une valve sans Silzone. L'examen ultérieur des manchons de fixation a révélé que Staphylococcus epidermidis adhérait davantage à ceux recouverts de Silzone qu'aux autres - le phénomène avait échappé aux scientifiques de la compagnie parce qu'ils
utilisaient un test optimisé pour les bactéries planctoniques [12]
.
Des substances antibiofilms
La deuxième voie consiste à agir au niveau de la bactérie. Lorsque les gènes nécessaires à la formation des biofilms seront identifiés, on peut espérer que certains d'entre eux, ou les protéines qu'ils codent, pourront constituer des cibles pour des substances « antibiofilms ». Par exemple, des molécules empêchant la synthèse des appendices cellulaires indispensables à la fixation au support, des molécules inhibant la
synthèse de la matrice, ou d'autres interférant avec la communication entre bactéries par quorum sensing.
Cette dernière approche a d'ailleurs suscité la création de
plusieurs entreprises de biotechnologies[13]
. Certaines tâchent d'identifier, dans des banques de molécules, des inhibiteurs des AHL, molécules clés du
quorum sensing. En s'inspirant parfois de phénomènes naturels de lutte antibiofilm ! Dans les années 1990, Peter Steinberg, de l'université du New South Wales, à Sydney, en Australie, avait remarqué que les massifs constitués par une algue nommée
Delisea pulchra restaient exempts de toute contamination par des biofilms bactériens. Après examen, il est apparu que les composés chimiques responsables de ce phénomène étaient des furanones, des molécules à la structure voisine de celle des homoserines lactones du quorum sensing,
avec lesquelles elles entrent en compétition. Avec son collègue
Staffan Kjelleberg, Steinberg a alors fondé une société, Biosignals. La compagnie, qui possède maintenant toute une collection de furanones, évalue actuellement leur efficacité.
Une troisième voie serait d'induire la dissolution du biofilm, les
bactéries isolées étant ensuite éradiquées par antibiothérapie
classique. Dans cette optique, l'identification des molécules impliquées dans le détachement des bactéries et leur retour à la vie planctonique constituerait une avancée significative, mais ces mécanismes restent pour l'instant peu étudiés.
Concluons sur un scénario futuriste, signé Costerton [14]
: il s'agirait de développer de petits récepteurs-réservoirs à
implanter chez l'homme. Capables de détecter des quantités seuils de molécules impliquées dans le quorum sensing
, ces réservoirs libéreraient alors des substances antibiofilms...
[1]Cécile Klingler, Alain Filloux, Andrée Lazdunski J.W. Costerton et al., Sci. Amer., 238, 86, 1978.
[2] T.J. Marrie et al., Circulation, 66, 1339, 1982.
[3]J. N. Anderl et al., Antimicrob. Agents Chemother., 44,
1818, 2000.
[4]P. A. Suci et al., Antimicrob. Agents Chemother., 38,
2125, 1994.
[5]S. Moller et al., Appl. Environ. Microbiol., 62
, 4632, 1996.
[6] B.R. Boles et al. PNAS, 101, 16630, 2004.
[7] M. Whiteley et al., Nature, 45,
1761, 2001.
[8] J.-M. Ghigo, Nature, 412 , 442, 2001.
[9] G.A. O'Toole et R. Kolter,Mol. Microbiol., 28, 449, 1998.
[10] C. Beloin et J.-M. Ghigo, Trends Microbiol., 13, 16, 2005.
[11]D.G. Davies et al., Science, 280 , 295, 1998.
[12] [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ; G. Cook et al., Int. J. Antimicrob. Agents, 13, 169, 2000.
[13] B. Schachter, Nature Biotechnology, 21, 361, 2003.
[14] G.D. Ehrlich et al., ASM News, 70 127, 2004.
et de lire cet extrait de l'EMC 2007
■ Microbiologie
Un os exposé s’infecte par communication entre l’extérieur et
le foyer de fracture, plus précisément entre la cavité médullaire
et l’extérieur, car un os exposé à l’air même dépériosté ne
s’infecte pas facilement. L’ostéite a été définie par la Société
française de pathologie infectieuse comme un « terme générique regroupant les infections osseuses traumatiques ou survenant après un geste chirurgical » [5] ; elle est dite aiguë si elle évolue depuis moins de 1 mois et chronique passé ce délai.
Généralités
La peau est le principal moyen de défense s’opposant à la
pénétration des germes saprophytes et pathogènes. Une lésion
cutanée associée à une nécrose des tissus mous adjacents
favorise la pénétration des bactéries, leur croissance et la
possibilité d’atteinte du tissu osseux sous-jacent. Les classifications pronostiques des fractures ouvertes, prenant en compte l’étendue de la lésion cutanée initiale et l’attrition des parties molles, reflètent le risque secondaire d’ostéite. Les bactéries ont deux origines : une contamination primaire exogène survenant immédiatement après la fracture, et une contamination secondaire tardive impliquant le plus fréquemment des germes sélectionnés par les pratiques thérapeutiques. De fait, il est illusoire de parler d’ostéites postchirurgicales vraies, car elles surviennent le plus souvent sur un terrain osseux altéré, déjà contaminé et impropre à sa défense. Ainsi, le taux d’infection des fractures ouvertes tous stades et toutes causes confondus reste important, variant selon les études de 13 % à 50 % [6].
Contamination immédiate primaire « exogène »
La contamination initiale de la plaie peut être considérée
comme une constante, et la présence de germes avant tout
traitement varie selon les études entre 60 % et 70 % [7-9].
Les germes le plus fréquemment en cause sont des germes
commensaux ou résidents provenant de la propre flore cutanée
du patient (staphylocoque coagulase négatif, Proprionibacterium
omnes, corynébactéries ...) ou des germes environnementaux
(telluriques, hydriques) tels que Bacillus, Clostridium, Clostridium
perfringens ... La présence de ces germes n’est pas synonyme
d’infection à long terme car le risque infectieux est corrélé à
l’atteinte des parties molles (une fracture de type 3 a 20 fois
plus de risque d’infection qu’une fracture de type 1 et 2) [7, 9].
Ces contaminations expliquent l’importance d’une antibiothérapie précoce dans la prise en charge des fractures ouvertes. Patzakis et al. [10] ont précisé le rôle de cette antibiothérapie ; le taux d’infection était de 13,9 % pour le groupe traité par placebo versus 2,3 % pour celui traité par une céphalosporine.
Contamination secondaire
La seconde source de contamination est liée aux germes
sélectionnés par les pratiques thérapeutiques. Ces germes sont
souvent résistants aux thérapeutiques usuelles et posent un
double problème de santé publique et de traitement de l’ostéite.
Mécanisme
Immédiatement après l’atteinte osseuse, les bactéries déclenchent une réaction inflammatoire qui se développe en souspériosté vers les parties molles et dans la cavité médullaire. Ces réactions s’accompagnent d’une augmentation du débit sanguin, d’un oedème inflammatoire, d’une compression des
capillaires et des sinusoïdes, phénomènes responsables au final
de thromboses veineuses et artériolaires générant des zones
d’infarcissement. Le développement d’un hématome amplifie
cette réaction en chaîne, par hyperpression et colonisation
microbienne précoce et massive. Secondairement se constituent des foyers de nécrose osseuse. Ces réactions se font très rapidement et l’expérience animale montre qu’en 72 heures une ostéomyélite aiguë staphylococcique peut, en l’absence de traitement antibiotique efficace, avoir constitué des séquestres, première étape du passage à la chronicité [11].
L’adhérence bactérienne permet la coalescence bactérienne
formant des microcolonies. Les bactéries de ces microcolonies
acquièrent des caractéristiques variants (VMC), c’est-à-dire
qu’elles modifient leurs caractéristiques métaboliques, augmentant leurs résistances à la phagocytose des polynucléaires et réduisant leur sensibilité à l’action bactériostatique. Ainsi, l’adhérence bactérienne modifie très rapidement le comportement bactérien vis-à-vis des antibiotiques et les VMC échappent en partie aux phénomènes immuns et phagocytaires [12].
En parallèle, la fixation bactérienne s’accompagne de la
formation d’une matrice de polysaccharides bioprotectrice, le
biofilm ou glycocalix. Cette matrice englobe des amas bactériens, séparés par des canaux aqueux qui permettent la circulation des nutriments. Ce conglomérat, contrairement à ce qui est généralement admis, ne constitue pas une barrière physique à la diffusion des antibiotiques [13], mais s’oppose à la pénétration des macrophages (Fig. 1) [14, 15]. De plus, les bactéries présentes dans le biofilm voient certaines de leurs propriétés modifiées [12] :
• elles échangent avec plus de facilité que les bactéries planctoniques
le matériel génétique favorisant la dégradation des
antibiotiques ;
• les bactéries qui sont situées dans les régions profondes sousoxygénées du biofilm ont un métabolisme ralenti, se protégeant ainsi des antibiotiques agissant en phase de multiplication bactérienne ;
• lorsque les bactéries sont en conglomérats, certains gènes
sont surexprimés, notamment ceux qui renforcent l’imperméabilité aux antibiotiques de l’enveloppe bactérienne.
Récemment, Bosse et al. ont montré que les bactéries pouvaient
survivre en étant protégées du système immunitaire dans
le cytoplasme des ostéoblastes ou des ostéocytes. Si elle se
confirme, cette découverte explique la grande difficulté du
traitement des ostéites chroniques .
Ainsi, toute infection non contrôlée immédiatement par une
thérapeutique efficace peut passer à la chronicité avec peu de
chances de guérison par une antibiothérapie habituelle. Le
traitement des ostéites n’est pas qu’un fait chirurgical et il ne
doit pas être dévolu uniquement aux orthopédistes ; la prise en
charge thérapeutique des infections osseuses doit être pluridisciplinaire et nécessite une étroite collaboration entre chirurgiens, bactériologistes et infectiologues.14-086-A-20 Fractures ouvertes de jambe app loc
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